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tripes, pâtés, volailles et marchandises de regratterie, le tout des formes et de l’usage les plus variés. Il y avait là des fermiers, jeunes et vieux, avec leurs blouses, leurs paletots bruns, leurs pardessus de gros velours, leurs cache-nez de tricot rouge, leurs grandes guêtres de cuir, leurs chapeaux de haute forme, leurs fouets de chasse et leurs gros gourdins. Ils étaient réunis par groupes, s’entretenant à grand bruit sur la porte des tavernes, payant ou recevant le prix de leur bétail à l’aide de grands portefeuilles bien bourrés et si épais, qu’ils ne pouvaient les tirer de leur poche sans faire un effort apoplectique ni les remettre à leur place sans des spasmes nouveaux. Il y avait là aussi des femmes de fermiers, avec leurs chapeaux de castor et leurs robes rouges, montées sur des chevaux au poil bourru, purs de toute passion terrestre, allant à droite, à gauche, comme on les mène, bonnement, paisiblement, sans demander pourquoi : bêtes patientes et dociles, qu’on aurait pu laisser sans danger dans une boutique de porcelaines, avec un service de table complet à chacun de leurs sabots. Il y avait aussi bon nombre de chiens qui paraissaient prendre un vif intérêt aux opérations du marché et aux bénéfices de leurs maîtres ; en un mot, enfin, une Babel de langues, tant d’hommes que d’animaux.

M. Pinch contemplait avec infiniment de plaisir tous les objets exposés en vente. Il fut particulièrement frappé par la vue de la coutellerie ambulante ; il ne pouvait en détacher ses regards. Ce fut au point qu’il fit emplette d’un couteau de poche muni de sept lames, dont pas une seule ne coupait, à ce qu’il reconnut plus tard. Quand il eut suffisamment parcouru la place du Marché, et considéré les fermiers tranquillement installés à dîner, il s’en retourna revoir sa bête. Le brave cheval mangeait de tout son cœur. M. Pinch, tranquille sous ce rapport, s’éloigna de nouveau pour faire le tour de la ville et se régaler de la vue des devantures de magasins : il commença par stationner longtemps devant la Banque, cherchant de l’œil dans quelle direction pouvaient se trouver dans le sous-sol les cavernes où l’on gardait l’argent ; puis il se retourna pour regarder un ou deux jeunes gens qui passaient auprès de lui, et qu’il reconnut pour être des clercs d’avoués de la ville ; ils avaient à ses yeux une terrible importance, car c’étaient des gaillards qui avaient plus d’un tour dans leur gibecière : aussi tenaient-ils la tête fièrement haute.

Mais les boutiques !… D’abord, et avant tout, celles des