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faire un de ces jours, ni ce qu’elle aurait pu me répondre. Eh bien, monsieur, cela ne m’eût pas convenu.

— Quoi ? d’être le maître du Dragon, Mark ? s’écria M. Pinch.

— Non, monsieur, certainement non, répondit l’autre, détournant son regard de l’horizon pour le reporter sur son compagnon de route. Ce serait la ruine d’un homme tel que moi. Si j’allais me poser, m’asseoir confortablement pour ma vie entière, on ne pourrait plus me reconnaître. Le beau mérite pour le maître du Dragon que d’être jovial ! Il ne pourrait s’empêcher de l’être, quand même il le voudrait.

— Mistress Lupin sait-elle que vous êtes parti avec l’intention de la quitter ? demanda M. Pinch.

— Je ne le lui ai pas encore déclaré, monsieur ; mais il le faut. Ce matin, je vais chercher quelque chose de nouveau et de convenable, ajouta le jeune homme en indiquant du geste la ville.

— Quelle espèce de chose ?

— Je songeais, répliqua Mark, à quelque chose comme l’état de fossoyeur.

— Bonté du ciel, Mark ! s’écria M. Pinch.

— C’est, dit Mark en secouant la tête d’un air capable, une sorte d’emploi qui n’a rien de bien relevé ; il y aurait un certain mérite à être jovial dans l’exercice de ces fonctions, à moins que les fossoyeurs n’aient l’habitude d’avoir cet humour-là, ce qui serait pour moi un mécompte. Vous ne sauriez pas me dire ce qu’il en est, monsieur, en général ?

— Non, dit M. Pinch. Je l’ignore. Je n’en ai pas la moindre idée.

— Dans le cas où cela ne tournerait pas comme on le voudrait, vous comprenez, dit Mark, réfléchissant de nouveau, il y a d’autres besognes. On peut essayer, oui… cela est assez lugubre. Il y aurait là quelque mérite. Entrer chez un fripier dans un quartier pauvre, ça ne serait peut-être pas mauvais. Un geôlier encore : ça voit de la misère en quantité. Le domestique d’un médecin n’est pas trop mal non plus : on est là en plein carnage. Et celui d’un huissier donc ! voilà un poste assez gentil naturellement. Un collecteur de taxes peut aussi, sous ce rapport, trouver ample matière à exercer sa sensibilité. Il y a un tas de commerces où je pourrai bien trouver mon affaire, à ce que je crois. »

M. Pinch avait entendu cette théorie avec une stupéfaction si profonde, qu’il ne pouvait plus qu’échanger de temps en