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joie), pour regarder à l’aise l’aimable et gracieuse matinée. Et, de peur que le soleil ne vînt rompre trop tôt ce charme, entre la terre et lui voltigeait un brouillard semblable à celui qui voile la lune pendant les nuits d’été, un brouillard caressant qui invitait le soleil à le dissiper doucement.

Tom Pinch avançait, pas bien vite, mais avec l’idée imaginative d’une locomotion rapide, ce qui revient au même ; et, à mesure qu’il avançait, toutes sortes d’objets s’offraient à lui pour le tenir heureux et content. Alors, quand il arriva à une certaine distance du tourniquet, il vit de loin la femme du péager qui, en ce moment, visitait un fourgon, rentrer à la hâte comme une folle dans sa petite maison, pour dire, car elle l’avait reconnu, que c’était M. Pinch qui venait. Et elle ne se trompait pas ; car, lorsqu’il fut à portée de la maison, les enfants du péager en sortirent vivement, criant en un petit chorus : « Monsieur Pinch ! » Jugez si Tom était content ! Le péager également, bien que ce fût en général un vilain monsieur qui n’était pas facile à manier, sortit lui-même pour recevoir l’argent et souhaiter son rude bonjour au voyageur ; et, quand celui-ci aperçut près de la porte le déjeuner de famille disposé sur une petite table ronde, devant le feu, la croûte qu’il avait emportée lui sembla prendre une saveur aussi délicieuse que si les fées lui avaient coupé une tranche de leur fameuse galette.

Mais ce n’était rien encore. Il n’y avait pas que les gens mariés et les enfants qui, sur son passage, vinssent souhaiter le bonjour à Tom Pinch. Non, non. Des yeux brillants, de blanches poitrines se montraient en toute hâte à plus d’une fenêtre, au fur et à mesure qu’il passait, pour échanger avec lui un salut : pas un de ces saluts froids et chiches, mais donnés et rendus au centuple, bonne mesure. Étaient-elles gaies, ces fillettes ! Comme elles riaient de bon cœur ! Quelques-unes même des plus folâtres lui envoyaient de loin un baiser lorsqu’il se retournait. On n’y regardait pas de si près avec ce pauvre M. Pinch. Il était si innocent !

Cependant la matinée était devenue si belle, tout était si gai, si éveillé à l’entour, que le soleil semblait dire, Tom croyait l’entendre : « Je n’ai pas envie de rester toujours comme ça ; il faut que je me montre ; » bientôt, en effet, il se déploya dans sa rayonnante majesté. Le brouillard, trop timide et trop délicat pour rester en si brillante compagnie, s’enfuit effarouché ; et, tandis qu’il disparaissait dans les airs, les col-