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d’années on a si mal nommée une grande redingote ; avec quelle candeur tu as invité à voix haute et gaie Sam le valet d’écurie à ne pas lâcher encore le cheval, comme si tu pensais que ce quadrupède eût envie de partir, et que cela lui fût si facile quand il en aurait envie ! Qui réprimerait un sourire d’affection pour toi, Tom Pinch, et non d’ironie, pour les frais que tu viens de faire ? car c’est bien assez d’être pauvre, Dieu le sait, en pensant que le grand jour de fête qui s’ouvre devant toi t’a inspiré tant d’ardeur et de feu que tu laisses, sans y goûter le moins du monde, sur le rebord de la fenêtre de la cuisine, ce grand cruchon blanc préparé de tes propres mains la nuit dernière, afin que le déjeuner ne te mît pas en retard, et que tu as posé sur le siége à côté de toi une croûte à casser en route quand l’excès de ta joie te laissera plus calme ! Va, mon brave garçon, pars heureux : fais d’une âme tendre et reconnaissante un signe d’adieu à Pecksniff, là-bas en bonnet de nuit, à la fenêtre de sa chambre ; va, nous t’accompagnerons tous de nos vœux. Que le ciel te protège, Tom ! heureux s’il te renvoyait d’ici pour toujours dans quelque lieu favorisé où tu pusses vivre en paix sans l’ombre de chagrin ! »

Quel meilleur temps pour courir, chevaucher, se promener, se mouvoir enfin de toute manière à l’air libre, qu’une piquante matinée de petite gelée, quand l’espérance circule joyeusement avec le sang vif et frais le long des veines, et tressaille dans tout notre être, de la tête aux pieds ? Ainsi commençait gaiement, pour le bon Tom, une de ces matinées d’hiver précoce, qui vous émoustillent. Ne me parlez pas, au prix de cela, de ces journées languissantes d’un été énervant (voilà ce qu’on dit quand on ne le tient plus), et fi de ce printemps inconstant avec lequel on ne sait jamais sur quel pied danser ! Les clochettes des moutons tintaient dans l’air vivifiant, comme si elles éprouvaient aussi sa bienfaisante influence ; les arbres, en guise de feuilles ou de boutons, secouaient sur le sol un givre congelé qui étincelait en tombant, et semblait, aux yeux de Tom, une poussière de diamants. À travers les cheminées des cottages, la fumée jaillissait en haut, bien haut, comme si la terre se trouvait trop belle maintenant pour se laisser souiller par une vapeur épaisse et lourde. La croûte de glace sur le ruisseau frémissant était transparente et si mince, que cette eau vive semblait s’être arrêtée d’elle-même (du moins Tom le crut-il dans sa