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jeunes personnes, je pense que nous ferons bien de partir. Monsieur Pecksniff, nous vous sommes très-obligées en vérité. Nous comptions bien nous amuser ici, mais vous avez dépassé de beaucoup notre attente dans les divertissements que vous nous aviez ménagés. Je vous remercie. Bonsoir. »

C’est avec ces paroles d’adieu que la femme forte paralysa l’énergie pecksniffienne ; elle sortit en même temps de la chambre, puis de la maison, accompagnée de ses filles, qui, par un mutuel accord, dressèrent en l’air la pointe de leurs trois nez et s’unirent dans un éclat de rire dédaigneux. Comme elles passaient dehors devant la fenêtre du parloir, on les vit simuler entre elles un transport de gaieté indécent ; puis, après ce trait final, laissant les gens du dedans livrés à un profond découragement, elles disparurent.

Avant que M. Pecksniff, ou quelqu’un des visiteurs qui étaient restés, eût pu émettre une observation, une autre figure passa aussi devant la fenêtre, venant en grande hâte dans une direction opposée. Immédiatement après, M. Spottletoe se précipita dans la chambre. À le juger d’après l’état actuel de son teint coloré, animé, échauffé, ce n’était plus le même homme qui était sorti tout à l’heure : autant comparer l’eau et le feu. Il découlait de sa tête tant d’huile antique sur ses favoris, qu’ils étaient enrichis et perlés de gouttes onctueuses ; son visage paraissait violemment enflammé, ses membres tremblaient, il ouvrait la bouche avec effort pour respirer.

« Mon bon monsieur !… s’écria M. Pecksniff.

— Oh ! oui, répliqua l’autre. Oh ! oui, certainement ! Oh ! c’est sûr ! Oh ! naturellement ! Vous l’entendez ? Vous l’entendez tous ?

— Qu’y a-t-il donc ? demandèrent vivement plusieurs voix.

— Oh ! rien, s’écria Spottletoe encore tout essoufflé. Rien du tout ! ça ne fait rien ! Interrogez-le ; il vous dira !…

— Je ne comprends point notre ami, dit M. Pecksniff, le regardant avec le plus profond étonnement. Je vous certifie qu’il est tout à fait inintelligible pour moi.

— Inintelligible, monsieur ! cria l’autre. Inintelligible ! Osez-vous dire, monsieur, que vous ignorez ce qui est arrivé ? que vous ne nous avez pas leurrés ici, tandis que vous machiniez un complot contre nous ? Essayerez-vous de soutenir que vous ne connaissiez pas les projets de départ de M. Chuzzle-