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ce que, par des démonstrations d’amour pour elle, il eût prouvé qu’il jouissait pleinement de sa raison. Derrière elle étaient assises ses trois filles, trois vieilles filles, au maintien cavalier, tellement à l’étroit dans leurs corsets que, par suite de cette mortification volontaire, leur intelligence était réduite à des proportions plus étroites encore que leur ceinture, et que le bout de leur nez même portait dans sa rougeur tuméfiée la preuve qu’elles étouffaient sous la pression de leur lacet. Puis ce fut un gentleman, petit-neveu de M. Martin Chuzzlewit, très-brun et très-chevelu, et qui semblait être venu au monde pour épargner aux glaces la peine de réfléchir autre chose qu’une ébauche, une esquisse de tête inachevée. Puis ce fut une cousine isolée qui n’offrait rien de remarquable, si ce n’est qu’elle était très-sourde, vivait seule et avait toujours une rage de dents. Puis ce fut Georges Chuzzlewit, un cousin, gai célibataire, qui se disait jeune, et qui en effet l’avait été autrefois ; mais, pour le moment il avait des dispositions à prendre du ventre, résultat d’une nourriture exagérée : ses yeux, victimes de son embonpoint, avaient l’air de suffoquer dans leurs orbites ; et il était si naturellement couvert de pustules, que les brillantes mouchetures de sa cravate, le riche dessin de son gilet, et jusqu’à ses scintillantes breloques, avaient l’air de lui avoir poussé sur la peau par analogie. Enfin, et pour clore la liste, étaient présents M. Chevy Slyme et son ami Tigg. Et ici, il y a un fait digne d’être mentionné : c’est que, si chacun des membres de l’assemblée détestait l’autre, principalement parce qu’il ou qu’elle appartenait à la famille, chacun et tous s’unissaient dans une haine générale contre M. Tigg, parce qu’il n’en faisait point partie.

Tel était l’agréable petit cercle de famille réuni en ce moment dans le plus beau salon de M. Pecksniff, tous gentiment disposés à tomber sur M. Pecksniff ou sur toute autre personne qui se hasarderait à émettre quoi que ce fût sur n’importe quoi.

« Voilà, dit M. Pecksniff, se levant les mains jointes et promenant son regard sur les parents, voilà quelque chose qui me fait du bien et qui fait aussi du bien à mes filles. Nous vous remercions de vous être réunis ici. Nous vous en sommes reconnaissants de tout notre cœur. C’est une heureuse marque de distinction que vous nous avez accordée et, croyez-moi… (Il serait impossible de décrire son sourire)… Croyez-moi, nous ne l’oublierons pas de sitôt.