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dans le sens métaphorique de l’expression ; il y eut des gros mots lancés et renvoyés, des épithètes injurieuses prodiguées ; il y eut des nez relevés, il y eut des sourcils froncés ; il y eut un enterrement complet et général de tous sentiments généreux et une résurrection violente des anciens griefs : jamais on n’avait rien ouï de tel dans ce paisible village, depuis les temps les plus reculés de son avènement à la civilisation.

Enfin, parvenues à l’extrême limite du découragement et du désespoir, quelques-unes des parties belligérantes commencèrent à se parler dans les termes mesurés d’une exaspération mutuelle ; bientôt ils s’adressèrent tous d’eux-mêmes, avec des formes assez convenables, à M. Pecksniff, en vertu de son caractère élevé et de sa position influente. Ainsi, peu à peu ils firent cause commune contre l’obstination de Martin Chuzzlewit, jusqu’à ce qu’il fût convenu (si un mot semblable peut être employé à l’endroit des Chuzzlewit) qu’il y aurait, à un jour déterminé, heure de midi, un concile général, un conclave dans la maison de M. Pecksniff. Tous ceux des membres de la famille qui s’étaient mis en règle à cet égard furent invités et dûment convoqués à la conférence.

Si jamais M. Pecksniff prit un air apostolique, ce fut surtout en ce jour mémorable. Si jamais son ineffable sourire proclama ces mots : « Je suis un messager de paix, » ce fut surtout ce jour-là. Si jamais homme réunit en lui toutes les charmantes qualités de l’agneau avec une petite pointe de colombe, sans la moindre nuance de crocodile, ou sans le plus minime soupçon du plus petit assaisonnement de serpent, cet homme, ce fut M. Pecksniff. Et les deux miss Pecksniff, donc ! Oh ! quelle sereine expression sur le visage de Charity ! Elle semblait dire : « Je sais que ma famille m’a outragée au delà de toute réparation possible ; mais je lui pardonne, car mon devoir le veut ainsi ! » Oh ! quelle ravissante simplicité chez Mercy ! Elle était si charmante, si innocente, si enfantine, que, si elle fût sortie seule et que la saison eût été plus avancée, les rouges-gorges l’eussent malgré elle couverte de feuilles, croyant voir en elle une des douces fées des bois, de ces dryades mythologiques sorties des chênes pour aller cueillir des framboises dans la jeune fraîcheur de son cœur ! Quelles paroles pourraient peindre les Pecksniff à cette heure décisive ? Aucune, oh ! non, il faut y renoncer. Car les paroles ne sont pas toutes également parfaites ; il peut y en avoir dans le