Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/64

Cette page a été validée par deux contributeurs.

le gentleman, devra s’adresser à moi ; ou bien, si je suis parti pour… Comment appelez-vous ce pays-là, d’où personne ne revient ? Il devra se mettre en rapport avec mes exécuteurs testamentaires pour obtenir la permission de fouiller mes papiers. J’ai pris simplement, à ma manière, quelques notes sur diverses actions de cet homme, mon frère adoptif, monsieur ; elles vous stupéfieraient. Tenez, pas plus tard que le quinze du mois dernier, à propos d’un billet qu’il ne pouvait payer et que l’autre partie ne voulait point renouveler, il a trouvé un mot qui aurait fait honneur à Napoléon Bonaparte s’adressant à l’armée française…

— Et dites-moi, je vous prie, demandant M. Pecksniff, évidemment mal à l’aise, quelle affaire peut attirer ici M. Slyme, si j’ose me permettre de m’en informer, quoique je sois forcé, par respect pour mon caractère, de décliner toute participation à ses actes.

— En premier lieu, répondit le gentleman, permettez-moi de déclarer que je repousse cette question, contre laquelle je proteste de toutes mes forces et de toute mon indignation, au nom de mon ami Slyme. En second lieu, vous voudrez bien me permettre de me présenter moi-même. Monsieur, je m’appelle Tigg. Le nom de Montague Tigg vous sera familier peut-être, car il se lie aux plus remarquables événements de la guerre de la Péninsule. »

M. Pecksniff secoua doucement la tête, comme un homme qui n’en avait jamais entendu parler.

« N’importe, dit le gentleman. Cet homme était mon père, et j’ai l’honneur de porter son nom. Par conséquent, je suis fier comme Artaban. Permettez que je m’absente un moment : je désire que mon ami Slyme assiste au reste de notre conférence. »

Tout en énonçant ce vœu, il se précipita hors de la porte d’entrée du Dragon bleu. Bientôt après, il reparut escorté d’un compagnon plus petit que lui. Ce dernier était couvert d’un vieux manteau de camelot bleu doublé d’écarlate fanée. Ses traits anguleux étaient tout gelés par la longue faction qu’il venait de faire au froid dans la rue ; ses favoris roux aux poils épars, et ses cheveux hérissés par les frimas, n’en paraissaient que plus incultes, ce qui ne lui donnait pas le moins du monde l’air shakespearien ou miltonique. Il n’était que sale et dégoûtant.

« Eh bien ! dit M. Tigg, frappant d’une main sur l’épaule