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Dans tout cet espace de temps, il ne cessa de hanter le Dragon à toute heure de jour et de nuit, et, rendant le bien pour le mal, il témoigna la plus profonde sollicitude pour la guérison du farouche convalescent. Mme Lupin était tout attendrie de voir cette inquiétude désintéressée, car il l’avait priée souvent et tout particulièrement de bien prendre note qu’il en ferait autant pour le premier malheureux venu s’il était dans la même position, et la veuve en versait des larmes d’admiration et d’extase.

Cependant le vieux Martin Chuzzlewit restait enfermé dans sa chambre, où il ne voyait que sa jeune compagne, sauf l’hôtesse du Dragon bleu, qui, à certains moments, était admise en sa présence. Seulement, sitôt qu’elle entrait dans la chambre, Martin feignait d’être endormi. Ce n’était que lorsqu’il se trouvait seul avec la jeune femme qu’il ouvrait la bouche ; au reste, il n’aurait pas même répondu un mot à la plus simple question, bien que M. Pecksniff pût comprendre, en écoutant de son mieux à la porte, que, lorsque les deux étrangers étaient ensemble, le vieillard était assez causeur.

Le quatrième soir, il advint que M. Pecksniff s’étant présenté, comme à son ordinaire, à l’entrée du Dragon bleu, et n’ayant pas trouvé Mme Lupin à son comptoir, monta tout droit l’escalier ; dans l’ardeur de son zèle affectueux, il se proposait d’appliquer encore une fois son oreille au trou de la serrure et de se calmer l’esprit en s’assurant que le rude malade allait mieux. Il advint aussi que M. Pecksniff, s’avançant tout doucement le long du corridor où d’ordinaire une petite lueur en spirale passait à travers le trou de la serrure, fut étonné de ne point apercevoir cette lueur accoutumée ; il advint que M. Pecksniff, quand il eut trouvé à tâtons son chemin jusqu’à la chambre, s’étant baissé vivement pour reconnaître par lui-même si le vieillard n’avait point, dans un accès de jalousie, fait boucher à l’intérieur ledit trou de serrure, heurta si violemment sa tête contre une autre tête, qu’il ne put s’empêcher de jeter d’une voix intelligible ce monosyllabe : « Oh ! » que la douleur lui arracha et lui dévissa en quelque sorte du gosier. Il advint alors finalement que M. Pecksniff se sentit aussitôt pris au collet par quelque chose qui unissait les parfums combinés de plusieurs parapluies mouillés, d’un quartaut de bière, d’un baril d’eau-de-vie et d’une pleine tabagie. Il fut entraîné en dégringolant forcément l’escalier jusqu’au comptoir d’où il était venu, et là il se trouva en face et sous le poignet