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Il se mit à jouer, en achevant de parler, avec les cendres du papier brûlé dans le fond du chandelier. Il le fit d’abord d’une manière distraite, puis ces cendres devinrent le sujet de sa méditation :

« Encore un testament fait et détruit ! se dit-il. Rien de fixe, rien d’arrêté. Et si j’étais mort cette nuit ! Je vois trop de quel déplorable usage cet argent pouvait être enfin, cria-t-il en se tordant dans son lit ; après m’avoir rempli toute ma vie de sollicitude et de misère, il soufflera une perpétuelle discorde et de mauvaises passions dès que je serai mort. Toujours même chose ! Que de procès sortent chaque jour de la tombe des riches pour semer le parjure, la haine et le mensonge parmi les proches parents, là où il ne devrait y avoir qu’amour ! Que Dieu nous assiste ! nous avons là une grande responsabilité ! Oh ! égoïsme, égoïsme, égoïsme ! Chacun pour soi et personne pour moi ! »

Égoïsme universel ! N’y en avait-il pas un peu aussi dans ces réflexions et dans l’histoire de Martin Chuzzlewit, d’après ce qu’il en disait lui-même ?



CHAPITRE IV.

Où l’on verra que, si l’union fait la force, et s’il est doux de contempler les affections de famille, les Chuzzlewit étaient la famille la plus forte et la plus douce à voir qu’il y eût au monde.


Le digne M. Pecksniff, ayant pris congé de son cousin dans les termes solennels que nous avons reproduits au chapitre précédent, se retira chez lui, où il resta trois jours entiers ; il ne se permettait même pas de franchir dans sa promenade les limites de son jardin, de peur d’être appelé en toute hâte au chevet du lit de son parent repentant et contrit, à qui, dans sa large bienveillance, il avait résolu d’avance d’accorder son pardon sans condition et son affection sans bornes. Mais telles étaient l’obstination et l’aigreur de ce farouche vieillard, qu’aucun témoignage de regret ne vint de sa part. Le quatrième jour trouva M. Pecksniff plus loin en apparence de son but charitable que le premier jour.