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que jamais nous ne nous servirions, l’un à l’égard de l’autre, de termes d’épanchement et de tendresse, mais que nous nous appellerions toujours, elle par mon nom de baptême, moi par le sien. Elle m’est attachée, pendant que j’existe, par les liens de l’intérêt ; et peut-être, en perdant tout à ma mort sans avoir été trompée dans son attente, me regrettera-t-elle ; d’ailleurs, je ne m’en inquiète que médiocrement. C’est la seule amie que j’aie ou veuille avoir. Jugez d’après ces prémisses de ce que vous rapportera l’heure que vous avez dépensée ici, et quittez-moi pour ne plus revenir. »

En achevant ces paroles, le vieillard se laissa retomber lentement sur son oreiller. M. Pecksniff se leva lentement aussi, et, avec un « hem ! » préliminaire, commença comme suit :

« Monsieur Chuzzlewit…

— Eh bien ! allez-vous-en, dit l’autre. En voilà assez. Je suis las de vous.

— J’en suis fâché, monsieur, répliqua M. Pecksniff, parce que j’ai un devoir à remplir, un devoir devant lequel je ne reculerai pas, comptez-y bien. Non, monsieur, je ne reculerai pas. »

Ici nous avons un fait déplorable à enregistrer : c’est que le vieillard, tandis que M. Pecksniff se tenait debout près du lit dans toute la dignité de la Vertu, et lui adressait ainsi la parole, jeta un regard courroucé sur le chandelier, comme s’il éprouvait une violente tentation de le lancer à la tête de son cousin. Mais il se contint, et montrant du doigt la porte, il l’informa par ce geste du chemin qu’il avait à prendre.

« Je vous remercie, dit M. Pecksniff. Je le sais et je vais partir. Mais avant que je m’en aille, je vous prie en grâce de me laisser parler. Bien plus, monsieur Chuzzlewit, je dois et veux, oui, je le répète, je dois et veux être entendu. Rien de ce que vous m’avez dit ce soir ne m’a surpris, monsieur. C’est naturel, très-naturel, et j’en connaissais déjà la meilleure partie. Je ne dirai pas, ajouta M. Pecksniff en tirant son mouchoir de poche et clignant malgré lui des deux yeux à la fois, je ne dirai pas que vous vous méprenez à mon égard. Pour rien au monde je ne voudrais vous tenir ce langage, tant que vous serez livré à cet accès de colère. Je voudrais en vérité avoir un caractère différent et pouvoir réprimer le moindre aveu d’une faiblesse que je ne saurais vous cacher : car, je le sens, j’en suis humilié moi-même ; ayez seulement la bonté de l’excuser. Nous dirons, s’il vous plaît, ajouta M. Pecksniff avec une grande effusion, qu’elle provient d’un rhume de cerveau,