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lant visiblement ses yeux dans leurs orbites avant de les ouvrir, qu’il était réduit encore à la nécessité de maintenir ce désir déjà exprimé.

« Votre vœu sera satisfait, dit Martin. Monsieur, je suis riche, moins riche peut-être que certaines gens ne le supposent, mais aisé cependant. Je ne suis pas avare, monsieur, bien que cette accusation ait été, à ma connaissance, dirigée contre moi et généralement admise. Je ne trouve aucun plaisir à thésauriser. La possession de l’argent me laisse indifférent. Le démon que nous appelons de ce nom ne saurait me donner que le malheur. Mais si je ne suis pas un empileur d’écus, dit le vieillard, je ne suis pas non plus un prodigue. Il y en a qui trouvent leur plaisir à accumuler de l’argent, d’autres aiment à le dissiper. Pour moi, je ne trouve pas plus de plaisir à l’un qu’à l’autre. Le chagrin, l’amertume, voilà les seuls biens qu’il m’ait jamais procurés. Je le hais. C’est un fantôme qui court devant moi à travers le monde, pour me défigurer toutes les jouissances de la société. »

Une pensée s’éleva dans l’esprit de M. Pecksniff et se manifesta apparemment sur ses traits ; autrement, Martin Chuzzlewit n’eût pas repris avec autant de vivacité et de force qu’il le fit :

« Vous alliez me conseiller, dans l’intérêt de mon repos, de me délivrer de cette source de misère et de m’en décharger sur quelqu’un qui fût plus en état d’en supporter le poids. Vous-même peut-être vous consentiriez à me débarrasser de ce fardeau sous lequel je souffre et je gémis. Mais, obligeant étranger, ajouta le vieillard, dont le visage se rembrunit en même temps, bon étranger chrétien, voilà justement le principal sujet de mon malheur. J’ai vu dans d’autres mains l’argent produire du bien ; dans d’autres mains, je l’ai vu remporter des triomphes, je l’ai entendu se glorifier avec raison d’être le passe-partout des portes de bronze qui ferment l’accès des chemins de la gloire humaine, de la fortune et des plaisirs. À quel homme ou à quelle femme, à quelle créature digne, honnête, incorruptible, confierai-je donc un semblable talisman, soit à présent, soit quand je mourrai ? Connaissez-vous quelqu’un qui soit dans ce cas-là ? Vos vertus sont naturellement inestimables ; mais pourriez-vous me citer aucune autre créature vivante qui supportât l’épreuve de mon contact ?

— De votre contact, monsieur ? répéta M. Pecksniff.

— Oui, reprit le vieillard, l’épreuve de mon contact, de mon