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« Frapperai-je ? demanda Mme Lupin, lorsqu’ils eurent atteint la porte de la chambre.

— Non, dit-il ; entrez, s’il vous plaît. »

Ils entrèrent sur la pointe du pied ; ou plutôt ce fut l’hôtesse qui prit cette précaution, car, pour M. Pecksniff, il marchait toujours d’un pas léger.

Le vieux gentleman dormait encore, et sa jeune compagne était assise auprès du feu et lisait.

« Je crains, dit M. Pecksniff, s’arrêtant au seuil de la porte et donnant à sa tête un balancement mélancolique, je crains que tout cela ne soit un peu louche. Je crains, mistress Lupin, vous comprenez ? que tout cela ne soit louche. »

Tout en achevant ces mots à voix basse, il avait devancé l’hôtesse ; en même temps, la jeune dame se leva au bruit des pas. M. Pecksniff jeta un regard sur le volume qu’elle tenait, et dit tout bas à Mme Lupin, avec un abattement plus grand encore, s’il était possible :

« Oui, madame, c’est un bon livre. J’en tremblais d’avance. Je crains fort que tout ceci ne recèle une trame profonde !

— Quel est ce monsieur ?… demanda la personne qui était l’objet de ces vertueux soupçons.

— Hum !… ne vous inquiétez pas, madame, dit M. Pecksniff, au moment où l’hôtesse allait répondre. Cette jeune… »

Involontairement, il hésita quand le mot « personne » vint sur ses lèvres, et y substituant un autre mot :

« Cette jeune étrangère, mistress Lupin, m’excusera de lui répondre laconiquement que j’habite ce village ; que j’y jouis de quelque influence, si peu méritée qu’elle puisse être, et que vous m’avez appelé. Je suis venu ici comme je vais partout où me pousse ma sympathie pour les malades et les affligés. »

Ayant prononcé ces paroles à effet, M. Pecksniff passa près du lit. Là, après avoir touché deux ou trois fois le couvre-pied d’une façon solennelle, comme pour s’assurer ainsi positivement de l’état du malade, il s’assit dans un grand fauteuil, et attendit le réveil du gentleman dans l’attitude de la méditation et du recueillement. La jeune dame ne poussa pas plus loin les objections qu’elle eût pu faire à Mme Lupin ; pas un mot de plus ne fut dit à M. Pecksniff, qui ne dit rien non plus à personne.

Une bonne demi-heure s’écoula avant que le vieillard bougeât. Enfin il se retourna dans son lit ; et, bien qu’il ne fût