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dans leur lit, sans seulement songer à soi tant qu’on peut rendre service à quelqu’un !… Je ne crois pas qu’il y ait eu jamais un meilleur concombre. Je suis toujours bien sûre de n’en avoir jamais mangé de meilleur ! »

Elle continua ces excursions philosophiques jusqu’à ce que son verre fût vide ; alors elle administra la tisane au malade par un procédé très-simple, qui consistait à lui serrer la jugulaire pour lui faire ouvrir la bouche, et à lui verser aussitôt le breuvage au fond du gosier.

« Et moi ! qui avais complètement oublié l’oreiller ! dit mistress Gamp en le retirant de dessous la tête du patient. Là ! maintenant il est aussi bien qu’il peut être, vraiment. À mon tour d’essayer de m’arranger aussi de mon mieux. »

Dans ce but elle se livra à la construction d’un lit improvisé, qu’elle composa de son fauteuil et d’un autre destiné à soutenir ses pieds. Ayant ainsi préparé son coucher aussi bien que les circonstances pouvaient le permettre, elle tira de son paquet un bonnet de nuit jaune, d’une grandeur prodigieuse et dont la forme figurait un chou ; elle fixa et attacha sur sa tête avec le plus grand soin cet article de toilette, après s’être débarrassée d’abord d’un tour presque chauve de vieilles boucles qu’on n’avait guère le droit d’appeler fausses, tant elles étaient innocentes de toute prétention à faire illusion à personne. Elle prit également dans son paquet une camisole de nuit dont elle se revêtit. Enfin elle en tira une redingote de watchman qu’elle se lia par les deux manches autour du cou ; si bien qu’elle avait l’air d’un personnage en partie double, et qu’à la voir de dos on aurait cru qu’elle se faisait embrasser par un vieux soudard.

Ces arrangements terminés, elle alluma la veilleuse, s’installa sur sa couche et s’abandonna au sommeil. La chambre devint sombre, lugubre, pleine d’ombres épaisses. Peu à peu le bruit lointain des rues s’éteignit par degrés ; la maison devint paisible comme la tombe ; la nuit muette et insensible parut s’être ensevelie dans la cité silencieuse.

Oh ! les tristes, les tristes heures ! Oh ! comme l’esprit égaré tâtonne dans l’ombre à travers le passé, sans pouvoir se détacher d’un présent misérable, traînant sa lourde chaîne de soucis au sein de fêtes et d’orgies imaginaires, et dans des arènes d’une magnificence pompeuse ! Comme il cherche le repos d’un moment dans les lieux depuis longtemps oubliés, qui furent le théâtre de son enfance, et qui lui apparaissent comme