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nouveau mistress Mould, et leva à la fois ses mains et ses yeux, comme pour adresser de pieuses actions de grâces au ciel en la voyant si bien portante. Elle était vêtue proprement, bien que sans faste, de la robe usée qu’elle avait le jour où elle fit connaissance avec M. Pecksniff ; seulement, il y avait peut-être maintenant un enduit de tabac un peu plus épais.

« Il y a, dit Mme Gamp, des créatures heureuses pour qui le temps ne marche pas ; et vous en êtes une, mistress Mould ; le temps n’a rien à faire avec vous, quoiqu’il ne respecte rien, et il n’a qu’à bien se tenir d’ici à nombre d’années, car vous êtes et resterez jeune. C’est ce que je disais à mistress Harris, comme elle venait de me dire : « Les années et les chagrins, mistress Gamp, laissent leurs marques sur tous les visages. — Ne dites pas cela, mistress Harris, si vous voulez que nous restions amies, car cela n’est pas. Mistress Mould, disais-je, car je vous avoue que j’ai pris la liberté de citer votre nom (ici elle fit la révérence), est une de ces personnes qui donnent un fier démenti à cette maxime ; et jamais, mistress Harris, tant que j’aurai le souffle, non, jamais je n’en démordrai, ne le croyez pas. — Je vous demande pardon, m’dame, dit mistress Harris, et je sollicite humblement votre indulgence : car, s’il y a une femme au monde qui se ferait hacher pour ses amis, je sais que cette femme s’appelle Sairey Gamp. »

Arrivée à ce point de son discours, elle jugea convenable de s’arrêter pour respirer.

Nous mettrons à profit cette circonstance pour constater qu’un terrible mystère entourait cette dame du nom de Harris, que personne dans le cercle des connaissances de mistress Gamp n’avait jamais vue, et dont personne non plus ne savait l’adresse, quoique mistress Gamp eût l’air, d’après ce qu’elle disait, d’être avec elle en relations continuelles. Divers bruits couraient à ce sujet ; mais, l’opinion dominante, c’est que cette mistress Harris était un fantôme sorti de l’imagination de mistress Gamp (de même que MM. Doe et Roe sont les fictions de la loi), et qu’elle avait créé tout exprès par la garde-malade pour tenir avec elle sur toutes sortes de sujets des conversations qui se terminaient invariablement par des compliments sur l’excellence de son caractère.

« Et quel plaisir aussi, dit Mme Gamp, se tournant vers les filles de M. Mould avec un sourire tendre et larmoyant, quel plaisir de voir deux jeunes demoiselles que j’ai connues du