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crâne chauve. Une odeur de punch parfumait la chambre ; sur une petite table à portée de la main de M. Mould était placé un grand verre tout plein de cet agréable breuvage, si habilement apprêté qu’au moment même où l’œil interrogeait la boisson froide et transparente, il trouvait un autre œil fixé sur lui et scintillant comme une étoile sous le zeste enroulé du citron.

L’établissement de M. Mould était situé au cœur de la Cité, dans le quartier même de Cheapside. Son harem ou, en d’autres termes, le salon de M. Mould et de sa famille était sur le derrière, après le petit comptoir qui faisait suite à la boutique : le tout contigu à un cimetière étroit et plein d’ombre. C’est dans ce salon de famille que M. Mould était assis, promenant son regard d’homme paisible sur son punch et sur son intérieur domestique. Si, par moments, il interrogeait un plus large horizon pour ramener avec plus de délices son regard sur le zeste de citron, l’œil humide de M. Mould errait comme un rayon de soleil le long d’un rideau rustique de haricots d’Espagne, retenu par des ficelles devant la croisée, puis il descendait sur les tombes d’un air de connaisseur.

Auprès de M. Mould était la compagne de sa vie avec ses deux filles. Chacune des demoiselles Mould était dodue comme une petite caille, et mistress Mould était plus dodue que toutes deux ensemble. Leurs belles formes étaient tellement rondouillettes et grassouillettes, qu’elles devaient avoir été jadis les corps des figures d’anges qu’on voyait dans la boutique ; et sans doute il leur avait poussé depuis d’autres têtes en grandissant, mais cette fois des têtes de simples mortelles. Jusqu’à leurs joues de pêche qui étaient gonflées et dilatées comme si elles étaient destinées à faire mugir les trompettes célestes, pendant que les chérubins sans corps, représentés dans la boutique, voués à souffler à perpétuité dans ces instruments, n’ayant pas de poumons, ne jouaient, à ce qu’on peut présumer, que par le tuyau de l’oreille.

M. Mould regardait avec tendresse mistress Mould, qui, assise à côté de lui, partageait avec lui le punch comme le reste. Chacune des filles-séraphins avait aussi sa part des regards paternels et y répondait par un sourire. Les sentiments de M. Mould étaient si inaltérables, et son fonds de commerce si étendu, que, dans ce sanctuaire même de la famille, avait été placé un grand bahut fort embarrassant, dont le ventre en bois d’acajou était tout rempli de linceuls, de suaires et autres ar-