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il ne témoignait jamais qu’il eût des oreilles ou des yeux pour rien de ce qui se passait autour de lui.

Un jour, la folle Merry, assise, les yeux baissés, sous un arbre dans le cimetière, où elle s’était retirée après s’être fatiguée à faire subir diverses épreuves au caractère de M. Jonas, sentit qu’une ombre venait se placer entre elle et le soleil. Elle leva les yeux, s’attendant bien à voir son fiancé : mais quelle fut sa surprise, à l’aspect du vieux Martin ! Cette surprise fut loin de diminuer quand le vieillard s’assit sur le gazon, à côté de la jeune fille, et entama ainsi la conversation :

« À quelle époque vous mariez-vous ?

— Ô mon Dieu ! cher monsieur Chuzzlewit ! je n’en sais rien du tout. Pas de longtemps, j’espère.

— Vous espérez ?… » dit le vieillard.

Il parlait très-gravement ; mais elle prit la chose en plaisanterie, et laissa échapper un rire étouffé.

« Allons, dit-il avec une douceur inusitée, vous êtes jeune, de bonne mine, et, je crois, d’un bon caractère. Vous êtes frivole, et vous vous plaisez à l’être, sans nul doute ; mais vous devez avoir du cœur.

— Je ne l’ai toujours pas donné tout entier, je vous assure, dit Merry hochant sa tête avec malice et arrachant des brins d’herbe.

— Vous en avez donc donné déjà quelque chose ? »

Elle rejeta les brins d’herbe, tourna son regard de côté, mais ne répondit rien.

Martin répéta sa question.

« Mon Dieu ! cher monsieur Chuzzlewit ! Il faut m’excuser… Vous êtes si bizarre !

— Si c’est être bizarre que de désirer savoir si vous aimez le jeune homme qui, m’a-t-on dit, doit vous épouser, je suis très-bizarre ; car tel est assurément mon désir.

— C’est un monstre, vous savez, dit Merry en faisant la moue.

— Alors vous ne l’aimez donc pas ? répliqua le vieillard. Est-ce là ce que vous voulez dire ?

— Certainement, cher monsieur Chuzzlewit, je suis sûre de lui avoir dit cent fois par jour que je le hais. Vous avez dû vous-même m’entendre le lui dire.

— Souvent, dit Martin.

— Et c’est exact, c’est positif, s’écria Merry.