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reconnu qu’elle n’était plus destinée à une touche ordinaire, mais à la douce main d’un ange, qui faisait vibrer les cordes les plus profondes de ton cœur ? Et si un regard amical (fût-il aussi naïf que le tien, cher Tom), avait pu percer le crépuscule de cette soirée où, d’une voix bien appropriée à l’heure, c’est-à-dire triste, douce, contenue et cependant pleine d’accent d’espérance, elle chanta pour la première fois en s’accompagnant de l’instrument modifié, toute surprise du changement qu’il avait subi ; où, assis de côté à la fenêtre ouverte, le cœur palpitant, tu gardas un silence ému, le silence discret du bonheur, ce regard n’eût-il pas lu dans tes traits l’aurore d’une histoire qui, pour ta félicité, cher Tom, n’eût jamais dû avoir de commencement ?

Ce qui rendait encore la position de Pinch plus dangereuse ou du moins plus difficile, c’est que pas une parole n’avait été échangée entre lui et Mary relativement au jeune Martin. Soucieux d’une promesse que lui rappelait sans cesse son honneur, Tom fournissait à Mary toutes les occasions de lui parler. Le matin de bonne heure, aussi bien que le soir, il était dans l’église, il se trouvait dans les promenades favorites de la jeune fille, au jardin, dans les prairies : autant d’endroits où il eût pu s’exprimer franchement. Mais non, en pareille occasion, ou bien elle l’évitait soigneusement, ou jamais elle ne se montrait sans être accompagnée. Ce n’est pas qu’il lui inspirât de l’antipathie ou de la méfiance ; en effet, par mille petits moyens délicats, trop délicats pour être remarqués par tout autre que Tom, elle le distinguait parmi les assistants et se montrait pour lui pleine de bonté et d’affection. Était-ce donc qu’elle avait rompu avec Martin, ou bien ne lui avait-elle jamais rendu amour pour amour, si ce n’est dans l’imagination fougueuse et romanesque du jeune homme ? Tom sentit rougir sa joue à cette pensée, qu’il se hâta de repousser.

Pendant ce temps, le vieux Martin allait et venait avec ses façons étranges, ou bien il se tenait assis parmi ses parents, en causant un peu avec l’un et avec l’autre. Bien qu’il n’aimât point le monde, il n’était ni sauvage, ni brusque, ni morose : rien ne lui plaisait tant que de faire sa lecture sans qu’on prît garde à lui, tandis que les autres s’amusaient à leur aise en sa présence. Il eût été impossible de démêler à qui il prenait un intérêt particulier, ou même s’il portait de l’intérêt à quelqu’un. À moins qu’on ne lui adressât positivement la parole,