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— Avec des dispositions amicales, j’espère ? dit M. Pecksniff. Pardonnez-moi, monsieur, mais mon humble hospitalité doit lui servir de sauvegarde.

— Je vous ai dit, répliqua le vieillard, que je veux le voir. Si j’étais disposé à le traiter autrement qu’avec des dispositions amicales, je vous eusse dit : « Tenez-nous séparés. »

— Certainement, mon cher monsieur, vous l’eussiez dit. Vous êtes la franchise elle-même, je le sais. »

M. Pecksniff ajouta en quittant la chambre :

« Je vais l’instruire avec précaution de son bonheur, si vous voulez me permettre de m’absenter une minute. »

Il mit, en effet, tant de précaution à le préparer à cette découverte, qu’un quart d’heure s’écoula avant qu’il revînt avec M. Jonas. En attendant, les jeunes demoiselles avaient fait leur apparition, et la table avait été dressée pour offrir une collation aux voyageurs.

Bien que M. Pecksniff, dans sa haute moralité, eût enseigné à Jonas la conduite respectueuse qu’il avait à tenir vis-à-vis de son oncle, et bien que Jonas, vu la finesse de sa nature, eût parfaitement appris la leçon, la contenance de ce jeune homme, lorsqu’il se présenta devant le frère de son père, était loin d’avoir la dignité ni la douceur commandées par la circonstance. Peut-être, en effet, jamais figure humaine n’offrit-elle, comme la sienne, un plus singulier mélange de méfiance et de basse complaisance, de crainte et d’audace, d’humeur hargneuse et de courbettes rampantes, lorsqu’ayant levé sur Martin ses yeux qu’il avait tenus baissés d’abord, il les baissa de nouveau et, ne cessant de fermer et de rouvrir ses mains avec un continuel mouvement de malaise, resta à se balancer à droite et à gauche, en attendant que la parole lui fût adressée.

« Mon neveu, dit le vieillard, on m’apprend que vous avez été un fils dévoué.

— Aussi dévoué que le sont généralement les fils, je suppose, répliqua Jonas, recommençant à lever et baisser les yeux. Je ne me vante pas d’avoir été meilleur que les autres fils ; mais je n’ai pas été pire, je l’espère.

— On m’a dit que vous aviez été un modèle pour tous les fils, reprit le vieillard en dirigeant un regard vers M. Pecksniff.

— Ma foi ! dit Jonas levant les yeux un moment et secouant la tête, j’ai été aussi bon fils que vous avez été bon frère. C’est le pot et la bouilloire, si vous le prenez par là.