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la condamnation éternelle de la richesse ; il en a senti les fruits amers… Partout où il allait, il en emportait avec lui l’influence corruptrice ; partout il la répandait autour de lui, jusque sur son foyer domestique. Cela fit de son propre fils un avide héritier, calculant jour par jour, et heure par heure, la distance qui rapprochait son père du tombeau, et maudissant la lenteur de ses pas sur cette route funèbre.

— Non ! s’écria hardiment M. Pecksniff ; nullement, monsieur !

— Ah ! j’ai bien vu cette ombre dans sa maison, dit Martin Chuzzlewit, le dernier jour de notre entrevue, et je l’ai averti qu’elle y était. Je ne m’y trompe pas, vous pensez, moi qui depuis tant d’années suis poursuivi par cette ombre fatale.

— Je nie cela, répondit avec chaleur M. Pecksniff. Je le nie positivement. Ce jeune orphelin est à l’heure présente dans ma maison, monsieur ; il est venu chercher dans un changement d’air la tranquillité d’esprit qu’il a perdue. Comment aurais-je la lâcheté de ne point rendre justice à ce jeune homme, lorsque les entrepreneurs des pompes funèbres et les fabricants de cercueils eux-mêmes ont été touchés de la conduite qu’il a tenue ; quand les croque-morts eux-mêmes ont parlé à sa louange, et que le médecin ne savait plus comment contenir son émotion ! Il y a une personne nommée Gamp, monsieur ; mistress Gamp. Interrogez-la, monsieur. C’est une femme respectable, et point du tout sentimentale ; vous verrez ce qu’elle vous dira. Une ligne adressée à mistress Gamp, maison du marchant d’oiseaux, Kingsgate-Street, High Holborn, Londres, sera accueillie avec une sérieuse attention, je n’en doute pas. Informez-vous, mon bon monsieur. « Frappe, mais écoute ! » Ne vous emportez pas, monsieur Chuzzlewit, sans examiner les choses ! Pardonnez-moi, cher monsieur, ajouta M. Pecksniff lui prenant les deux mains, pardonnez-moi si j’y mets tant de chaleur ; mais je suis trop honnête homme pour ne pas rendre témoignage à la vérité. »

À l’appui du caractère que s’était donné M. Pecksniff, des larmes d’honnête homme tombèrent de ses yeux.

Le vieillard attacha sur lui un regard étonné, en se répétant : « Il est ici ! dans cette maison ! » Mais il domina sa surprise et dit, après un moment de silence :

« Je veux le voir.