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sa sévérité ordinaire : l’embarras mutuel éprouvé par Tom et la jeune fille ne semblait pas, quelle qu’en fût la cause, avoir échappé à sa pénétration.

« Pecksniff, dit-il après un moment de silence, en se levant et en attirant son hôte à l’écart vers la fenêtre, j’ai été très-peiné à la nouvelle de la mort de mon frère. Depuis longues années nous étions devenus étrangers l’un à l’autre. Ma seule consolation, c’est de souhaiter que son bonheur et sa tranquillité n’aient point souffert de la résolution qu’il avait prise de ne me communiquer ni ses espérances ni ses projets. Paix à sa mémoire ! Nous avions été camarades d’enfance, et, pour tous deux, il eût mieux valu mourir alors. »

Le trouvant en si bonnes dispositions, M. Pecksniff commença à entrevoir un autre moyen de sortir d’embarras sans jeter Jonas par-dessus bord.

« Vous m’excuserez, mon cher monsieur, répliqua-t-il, de douter qu’on puisse ne pas souffrir de renoncer à votre confiance. Mais que M. Anthony, dans le soir de sa vie, trouvât le bonheur dans l’affection de son excellent fils ; un modèle, mon cher monsieur, un modèle pour tous les fils, ainsi que dans les soins d’un parent éloigné qui, dans l’humble sphère des services qu’il pouvait lui rendre, ne mettait pas de bornes à son dévouement, voilà ce que je puis vous affirmer.

— Eh ! quoi ? dit le vieillard ; vous ne seriez pas son légataire ?

— Vous ne connaissez pas bien encore mon caractère, à ce que je vois, dit M. Pecksniff en lui pressant la main avec une émotion mélancolique. Non, monsieur, je ne suis pas son légataire. Je suis fier de déclarer que je ne suis pas son légataire. Et pourtant, monsieur, j’ai couru auprès de lui, sur sa propre prière. Il me connaissait mieux, lui, monsieur. Il m’écrivit : « Je suis malade, je m’en vais… venez à moi ! » J’allai à lui. Je m’assis à son chevet, monsieur, et je le suivis jusqu’à sa tombe. Oui, au risque de vous déplaire, j’ai fait cela, monsieur. Quand bien même cet aveu devrait amener notre séparation immédiate et briser entre nous les tendres liens que nous avons formés récemment, j’ai fait cela. Mais je ne suis point son légataire, dit M. Pecksniff, souriant avec calme, et jamais je ne me suis attendu à l’être. Je n’y songeais seulement pas !

— Son fils, un modèle ! s’écria le vieux Martin. Comment pouvez-vous me dire cela ? Mon frère a subi dans sa richesse