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rieux, il la vit briller à travers la couverture, dans l’encadrement de la porte.

Il sortit doucement, laissant son compagnon encore endormi ; et, après s’être rafraîchi en se lavant à la petite rivière qui coulait à quelques pas, il se livra à un rapide examen de l’état des lieux.

Il n’y avait pas en tout dans la colonie plus d’une vingtaine de huttes ; la moitié paraissaient abandonnées ; toutes tombaient en ruines. La plus délabrée, la plus hideuse, la plus misérable, était intitulée avec infiniment de justesse : Banque et bureau du crédit national. On l’avait entourée de quelques chétifs étançons, mais elle était trop profondément enfoncée dans la boue pour qu’il fût possible de la relever.

On avait fait par-ci par-là un effort pour nettoyer le sol, et marqué quelque chose comme un champ, où, parmi les troncs et les cendres des arbres brûlés, poussait une maigre récolte de maïs. Dans plusieurs endroits, une palissade tortueuse ou une haie en zigzag avait été commencée ; mais nulle part on n’était allé jusqu’au bout, et les piquets tombés et cachés à demi par la fange gisaient à moitié pourris. Trois ou quatre chiens efflanqués, et auxquels la faim n’avait laissé que la peau sur les os ; quelques porcs à longues pattes errant dans les bois à la recherche de leur nourriture ; quelques enfants à peu près nus et regardant Mark du seuil de leurs huttes, tels furent les seuls êtres vivants qu’il aperçut. Une vapeur fétide, chaude et desséchante comme le souffle d’un four, s’élevait de la terre et restait suspendue sur tous les objets alentour. À peine Mark avait-il laissé sur le terrain marécageux l’empreinte de ses pas, qu’une vase noire et puante venait en effacer la trace.

La propriété des deux associés n’était encore qu’à l’état de forêt. Les arbres avaient poussé si serrés, si rapprochés, qu’ils se coudoyaient mutuellement, et que les plus faibles, contraints de prendre des formes étranges et contournées, languissaient tout atrophiés. Les mieux venus étaient rabougris, par suite de la pression qu’ils éprouvaient et du manque d’espace nécessaire ; au bas de leur tige croissaient abondamment de longues herbes, et cette végétation humide et malsaine de mousses et de lichens qui tapissent le dessous des bois ; bien habile celui qui eût pu distinguer par leurs espèces ces plantes entremêlées en un inextricable monceau : c’était un fourré profond et ténébreux, qui ne reposait pas plus sur la terre que sur l’eau, mais