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côtés son regard avec beaucoup de précaution, et, se soulevant avec peine sur ses deux oreillers, essaya, le visage empreint d’une étrange expression de mystère et de défiance, de faire usage du papier, de l’encre et des plumes qu’il avait fait placer auprès de lui sur une table. Pendant ce temps, la jeune dame et l’hôtesse du Dragon bleu étaient assises l’une près de l’autre devant le feu, dans la chambre du malade.

L’hôtesse du Dragon bleu avait tout à fait le physique de l’emploi : large, égrillarde, bien portante et de bonne mine ; son visage, d’un rouge vif sur un fond blanc clair, offrait par son aspect jovial un témoignage du vif intérêt que la dame portait aux excellentes provisions contenues dans la cave et dans le cellier, comme aussi de l’influence, puissamment utile pour la santé, qu’exerçaient ces excellentes provisions. Elle était veuve ; mais le temps de son deuil était passé, et la veuve avait repris sa fleur de beauté, qui depuis n’avait pas cessé de s’épanouir en pleine floraison. Pour rendre la floraison plus complète, roses sur ses amples jupons, roses sur son corsage, roses sur son bonnet, roses sur ses joues, oui vraiment, et, les plus douces de toutes à cueillir, roses sur les lèvres. Elle avait, en outre, de brillants yeux noirs et des cheveux couleur de jais ; elle était avenante, ornée de jolies fossettes, dodue, ferme comme une groseille ; et, bien qu’elle ne fût plus tout à fait ce que le monde appelle une jeune femme, vous eussiez pu prêter serment sur la vérité, devant tout maire ou tout autre magistrat dans la chrétienté entière, qu’il y avait en ce monde beaucoup de jeunes filles, Dieu les bénisse toutes en général et chacune en particulier ! que vous n’eussiez ni aimées ni admirées à moitié autant que la pimpante hôtesse du Dragon bleu.

Assise devant le feu, cette belle matrone promenait, de temps en temps, son regard autour de la chambre avec l’orgueil satisfait d’une propriétaire. C’était une vaste pièce, comme on peut en voir à la campagne, ayant un plafond surbaissé et un plancher enfoncé au-dessous du niveau de la porte ; à l’intérieur, il y avait pour descendre deux marches placées d’une manière si délicieusement inattendue, que les étrangers, en dépit des plus grandes précautions, ne manquaient guère de tomber le nez en avant comme dans un bain où l’on pique une tête. Ce n’était pas là une de vos chambres à coucher frivoles et luxueuses jusqu’à l’absurde, où l’on ne peut fermer l’œil dans une convenance et une harmonie d’idées propres au