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vant nous, et pendant ce temps les Aigles de la Grande République poufferont de rire, ha ! ha ! ha ! »

Quand il fut démontré que le Lion ne viendrait pas, et qu’il se tenait prudemment à l’écart, tandis que le jeune Colombien restait debout, les bras croisés, seul dans sa gloire, et que, par conséquent, les Aigles pouvaient sans inconvénient pousser leur rire sauvage sur la crête des montagnes, il s’éleva des applaudissements dont je suis étonné que la violence n’ait pas suffi pour déranger les aiguilles de l’horloge des Horse-Guards, et changer l’heure dans la capitale de l’Angleterre.

« Quel est cet orateur ?… » demanda Martin à M. La Fayette en langage télégraphique.

Le secrétaire écrivit très-gravement quelque chose sur une feuille de papier qu’il roula et fit passer de main en main. C’était une variante de l’ancienne redite : « Un des hommes les plus remarquables peut-être de notre pays. »

Au jeune Colombien succéda un autre orateur non moins éloquent, et qui fit vibrer aussi des ouragans d’applaudissements. Mais ces deux « remarquables » jeunes gens, dans leur exaltation (dont la poésie elle-même ne pourrait donner qu’une faible idée) oublièrent de dire avec qui ou avec quoi sympathisaient les Watertoasters, en d’autres termes pourquoi et comment ils étaient sympathiques. Martin demeura donc longtemps dans des ténèbres aussi épaisses qu’auparavant, jusqu’à ce qu’enfin un rayon de lumière s’offrit à lui par l’organe du secrétaire, qui, en lisant les procès-verbaux des séances précédentes, lui rendit le sujet un peu plus clair. Il apprit alors que la Watertoast Association sympathisait avec un politique irlandais qui, sur certains points, était en dissentiment avec l’Angleterre, et qu’elle agissait de la sorte, sinon parce qu’elle aimait beaucoup l’Irlande, du moins parce qu’elle n’aimait pas du tout l’Angleterre : car elle éprouvait, à l’endroit des Irlandais émigrés, autant de jalousie que de méfiance, et ne les supportait que pour leur activité qui les rendait si utiles, le travail étant infiniment plus méprisé dans la glorieuse république que dans aucun autre lieu du monde. Cette découverte rendit Martin curieux de savoir quels nœuds de sympathie la Watertoast Association avait formée ; il n’eut pas longtemps à attendre : car le général se leva pour donner lecture d’une lettre écrite de sa propre main à l’homme politique d’Irlande.