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— Mark, murmura Martin en le tirant par la manche, entendez-vous ?… Mais, reprit-il tout haut, qui donc alors a fait tous ces travaux que nous avons devant les yeux ?

— Comme le sol est très-fertile, peut-être que les monuments poussent spontanément, » dit Mark.

Il était, en disant ces mots, près du mauvais profil de l’agent ; mais Scadder changea aussitôt de place pour pouvoir l’observer de son œil actif et valide.

« Tâtez mes mains, jeune homme, dit-il.

— À quoi bon ? » demanda Mark, cherchant à se soustraire à l’invitation.

Scadder étendit ses mains.

« Sont-elles sales ou propres ? » dit-il.

Au point de vue physique, elles étaient évidemment sales. Mais il était clair que M. Scadder les présentait à l’examen dans un sens figuré, et comme emblème de son caractère moral ; Martin se hâta donc de les déclarer aussi pures que la neige qui voltige encore dans les airs.

« Mark, dit-il avec une certaine impatience, je vous prie de ne pas jeter à tort et à travers des remarques de cette nature, qui, pour être innocentes dans l’intention, n’en sont pas moins déplacées et ne sauraient être agréables aux étrangers. Je suis vraiment très-contrarié.

— De quoi se mêle le Co[1] ? pensa Mark ; le voilà déjà qui met les pieds dans le plat ! Quand il ne devrait être qu’un associé assoupi, un associé qui n’a qu’à s’endormir bien vite et ronfler de tout son cœur… Un Co n’a pas autre chose à faire, à ce que je vois. »

M. Scadder ne disait rien, mais il s’était adossé au plan et il piqua plus de vingt fois le pupitre avec son cure-dent, regardant Mark en même temps comme s’il le poignardait en effigie.

Martin se hasarda enfin à faire observer, d’un ton d’humble prière :

« Vous ne m’avez pas dit qui a accompli tous ces travaux ?

— Ne vous inquiétez pas de savoir qui l’a fait ou ne l’a pas fait, dit l’agent d’un ton bourru. Peu importe comment la chose est arrivée. Peut-être est-ce un homme qui s’est sauvé avec un joli monceau de dollars ; peut-être n’avait-il pas un

  1. En anglais, Co, compagnie.