Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/412

Cette page a été validée par deux contributeurs.

parlez terriblement bien en public, mais vous ne devriez pas aller si vite de l’avant en affaires.

— Si je comprends votre pensée, dit le général après un instant de réflexion, je veux être pendu !

— Vous savez bien, dit Scadder, que nous ne voulons point vendre les lots au premier acquéreur venu, mais que nous avons décidé de les réserver pour des aristocrates de nature !

— Eh bien ! monsieur, en voici, s’écria le général avec chaleur. En voici !

— En ce cas, c’est bien, répliqua l’agent d’un ton de reproche. Mais vous ne devriez pas pour cela prendre des airs avec moi, général. »

Le général souffla à l’oreille de Martin que Scadder était l’homme le plus franc du monde dans son langage, et qu’il ne voudrait pas pour dix mille dollars lui avoir fait volontairement injure.

« Je remplis mon devoir, et avec tout cela je me fais des ennemis de ceux à qui je ne veux que rendre service, dit Scadder à voix basse en regardant la route et se remettant à se balancer. Ils se fâchent contre moi parce que je ne veux pas vendre trop bon marché leur Éden. Voilà bien la nature humaine ! Très-bien !

— Monsieur Scadder, dit le général, prenant son attitude d’orateur ; monsieur ! voici ma main, et voici mon cœur ! Je vous estime, monsieur, et je vous demande pardon. Ces gentlemen sont de mes amis ; sinon, je ne les eusse pas amenés ici, monsieur ; sachant bien, monsieur, que les lots sont actuellement à trop bon marché. Mais ce sont des amis à moi, monsieur, des amis intimes. »

Cette explication satisfit tellement M. Scadder, que notre homme prit et secoua chaudement la main du général, après s’être, pour cela, levé de sa chaise à bascule. Ensuite il invita les amis intimes du général à le suivre dans son bureau. Quant au général, il fit observer, avec sa bonne grâce habituelle, qu’appartenant à la compagnie, il ne devait se mêler en rien d’une transaction de ce genre. Puis ce fut à son tour de s’emparer de la chaise à bascule et de regarder la perspective, comme un bon samaritain qui attend un voyageur pour lui venir en aide.

« Oh !… » s’écria Martin, dont l’œil se fixa sur un vaste plan qui occupait tout un côté de l’office.

L’office n’avait guère que cela, sauf quelques échantillons