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— Je n’en doute pas le moins du monde, » répondit Martin.

Mais ici il fut interrompu par M. La Fayette Kettle, qui lui murmura à l’oreille :

« Vous connaissez le général Choke ?

— Non, répondit Martin sur le même ton.

— Mais vous savez qu’on le considère ici comme un…

— Comme un des hommes les plus remarquables de ce pays, n’est-ce pas ? dit Martin, à tout hasard.

— Le fait est certain, répliqua Kettle. Je vois bien que vous avez entendu parler de lui !

— Je crois, dit Martin, s’adressant de nouveau au général, que j’ai le plaisir d’être porteur d’une lettre d’introduction auprès de vous, monsieur. Elle est de M. Bevan, du Massachussets, » ajouta-t-il en lui présentant la lettre.

Le général prit la lettre et la lut avec attention ; de temps en temps il suspendait sa lecture pour regarder les deux étrangers. Après avoir terminé, il s’approcha de Martin, s’assit à côté de lui et lui serra les mains.

« Très-bien ! dit-il ; ainsi vous songez à vous établir à Éden ?

— Cela dépendra de votre opinion et des avis de l’agent, répondit Martin. On m’a appris qu’il n’y a pour moi rien à faire dans les anciennes villes.

— Je puis vous recommander à l’agent, monsieur, dit le général. Je le connais. Moi-même, je suis membre de la Compagnie de colonisation d’Éden. »

Cette nouvelle était grave pour Martin, car son ami avait insisté sur ce que le général n’avait aucun rapport, du moins à ce qu’il croyait, avec aucune compagnie terrienne, et pourrait par conséquent lui fournir des renseignements d’autant plus désintéressés. Le général lui expliqua qu’il n’était entré dans cette compagnie que quelques semaines auparavant, et que depuis ce temps il n’y avait plus eu de rapports entre lui et M. Bevan.

« Nous n’avons que bien peu de choses à risquer, dit Martin d’un ton d’appréhension, quelques livres sterling seulement, c’est tout notre avoir. Or, pensez-vous que, pour un homme de ma profession, ce soit une spéculation qui permette de concevoir des espérances de succès ?

— Comment donc ! dit gravement le général, si cette spéculation n’offrait ni espérance ni avenir, je n’y eusse pas engagé mes dollars, je vous prie de le croire.