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L’excursion que nous faisons ici dans le domaine de l’histoire naturelle, à propos du tribut qu’on devait payer à ces animaux, n’est pas une digression aussi singulière qu’elle le paraît au premier coup d’œil : car nous avons à nous occuper spécialement du dragon qui avait sa demeure dans le voisinage de M. Pecksniff, et, puisque cet animal aux formes courtoises est maintenant sur le tapis, nous n’avons pas de raison pour le laisser de côté.

Depuis bien des années il se balançait, criait et battait de l’aile devant les deux fenêtres de la meilleure chambre à coucher qu’il y eût dans la maison de réfection à laquelle il avait donné son nom ; mais tandis qu’il se balançait, criait et battait de l’aile, jamais dans les sombres confins qu’il habitait il n’y avait eu autant de mouvement qu’on put en remarquer le soir même qui suivit celui où arrivèrent les événements exposés dans le précédent chapitre. C’était un bruit de pas pressés montant et descendant l’escalier, une quantité de lumières qu’on voyait briller ; des paroles s’échangeaient à voix basse ; le bois, fraîchement allumé, fumait et suintait dans l’humide cheminée ; on avait retiré le linge des armoires ; les bassinoires répandaient leur odeur brûlante ; enfin, c’était un tel va-et-vient, une telle agitation intérieure, que jamais dragon, griffon, licorne ou tout autre animal de cette espèce n’assista à rien de semblable, depuis que ces bêtes fantastiques sont mêlées aux affaires de ménage.

Un vieux gentleman et une jeune femme, voyageant sans suite dans une ancienne berline toute délabrée que traînaient des chevaux de poste, venant on ne sait d’où, allant on ne sait où, s’étaient détournés de la grand’route et arrêtés inopinément au Dragon bleu. Un mal subit avait saisi le vieux gentleman dans sa voiture. Forcé pour cette cause de descendre à l’auberge, le malade y souffrait d’horribles crampes et de spasmes nerveux ; et cependant, au milieu même de ses crises, il défendait expressément qu’on appelât un médecin ; la jeune femme lui administrait quelques remèdes pris dans une petite boîte à médicaments : il protestait qu’il n’en voulait pas d’autres ; en un mot, il épouvantait l’hôtesse, lui faisait perdre la tête, et repoussait obstinément tous les moyens de soulagement qu’elle pouvait lui offrir.

Des cinq cents remèdes que la bonne femme imagina et proposa en moins d’une demi-heure, il n’en admit qu’un seul : ce fut de se mettre au lit. C’était pour faire ce lit et tout dis-