Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/399

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Au contraire, monsieur. La plus joyeuse semaine de toute ma vie, je l’ai passée chez Pawkins.

— Que pensez-vous de nos projets ? demanda Martin, d’un ton qui dénotait qu’il y avait déjà quelque temps qu’il suspendait cette question.

— Ils sont magnifiques, monsieur. Quel meilleur nom pour aucun lieu du monde que celui de Vallée d’Éden ? Quel homme pourrait choisir pour se fixer un meilleur endroit que la Vallée d’Éden ?… On m’a dit, ajouta Mark après une pose, qu’il n’y manque pas non plus de serpents : ainsi vous voyez que notre Éden sera complet comme l’autre. »

Bien loin de rester sur cette agréable nouvelle avec la moindre marque d’effroi, Tapley en l’évoquant laissa paraître sur sa physionomie une expression de joie radieuse ; tellement radieuse, qu’un étranger eût pu supposer qu’il avait toute sa vie appelé de ses vœux la société des serpents, et qu’il jetait un vivat d’allégresse en touchant à la réalisation de ses plus ardents désirs.

« Qui vous a dit cela ? demanda rudement Martin.

— Un officier de la milice, dit Mark.

— Que le diable vous emporte, imbécile que vous êtes ! s’écria Martin, riant de bon cœur, en dépit de lui-même. Quel officier de la milice ? il y en a tant : ça pousse ici comme le chiendent dans les champs.

— Oui, c’est vrai ; il y en a autant que d’épouvantails pour les moineaux en Angleterre, monsieur ; et, pour plus de ressemblance, les épouvantails de là-bas sont aussi une espèce de milice, car ils ont comme eux veste et gilet, avec un bâton fourré dedans. Ah ! ah ! ah ! Ne faites pas attention, monsieur ; je ris comme ça de temps à autre. Pas moyen de m’empêcher d’être jovial. Eh bien oui, c’est un des guerriers intimes de la pension Pawkins qui m’a conté la chose. « Si mes informations sont précises, m’a-t-il dit, pas positivement en parlant du nez, mais d’une voix bien enchifrenée tout de même, vous vous rendez à la Vallée d’Éden ? – J’ai entendu parler de ça, lui ai-je répondu. – Oh ! dit-il, s’il vous arrive d’y coucher, n’oubliez pas, jusqu’à ce que la civilisation y ait fait des progrès, de prendre une hache à côté de vous. – Est-ce qu’il y a des puces ? lui ai-je demandé. – Mieux que ça, qu’il dit. – Des vampires ? – Mieux que ça. – Des moustiques peut-être ? – Mieux que tout ça. – Mieux que ça, que je dis. – Il y a des serpents, des serpents à sonnettes ; pourtant vous n’aviez