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Il se retira ainsi, en chantant négligemment un refrain comme à son arrivée. Il n’y avait pas cinq minutes qu’il était parti, quand Merry, qui s’était assise dans l’embrasure de la croisée, à l’écart de Jonas et de sa sœur, partit d’un éclat de rire à demi étouffé et bondit vers la porte.

« Holà ! cria Jonas. Ne partez pas.

— Tiens !… répliqua Merry se tournant. Vous êtes donc bien désireux que je reste, vilain monstre ?…

— Oui, je le suis, dit Jonas. Sur l’honneur, je le suis. J’ai besoin de vous parler. »

Mais, comme malgré cela elle avait persisté à quitter la chambre, il courut dehors après elle et la ramena après une courte lutte dans le couloir, qui scandalisa extrêmement miss Cherry.

« Sur ma parole, Merry, dit vivement la jeune demoiselle, vous m’étonnez. Il y a des limites même à l’absurdité, ma chère.

— Je vous remercie, ma douce sœur, dit Merry en fronçant ses lèvres rosées. Je vous suis très-obligée de ce bon avis… Mais laissez-moi donc tranquille, monstre que vous êtes ! »

Cette prière lui fut arrachée par une nouvelle tentative de M. Jonas qui la fit tomber tout essoufflée sur le sofa, où il se trouva entre elle et miss Cherry.

« Maintenant, dit Jonas, prenant la taille à chacune d’elles, vous voyez que j’ai trouvé moyen d’occuper mes deux bras.

— Vous allez voir qu’il y en aura un des deux demain qui sera marqué de noir et de bleu, si vous ne me laissez aller ! s’écria cette espiègle de Merry.

— Ah ! je ne me soucie guère de vos pinçons, dit Jonas en riant ; essayez.

— Pincez-le pour moi, Cherry, je vous en prie, dit Merry. Jamais je n’ai haï personne comme je hais cette créature, je le déclare !

— Non, non, ne dites pas cela, et ne me pincez ni l’une ni l’autre, parce que j’ai à vous parler sérieusement. Je vous dirai donc… ma cousine Charity…

— Eh bien, quoi ? répondit-elle aigrement.

— Laissez-moi vous parler raisonnablement, dit Jonas ; j’ai besoin d’écarter tout malentendu, vous comprenez ? et de donner à chaque chose son véritable sens. C’est désirable et convenable, n’est-il pas vrai ? »

Aucune des deux sœurs ne prononça un mot. M. Jonas s’arrêta pour humecter son gosier, qui était extrêmement sec.