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père. Alors elle vit M. Jonas, et elle rougit, et elle pencha la tête en lui adressant une parole de bienvenue.

Mais où donc était Merry ? M. Pecksniff ne fit point cette question d’un ton de reproche, mais avec une teinte de douceur légèrement nuancée de chagrin. Elle était en haut, dans le salon, occupée à lire sur le canapé. Ah ! les soins domestiques étaient sans charme pour elle !

« Appelez-la, dit M. Pecksniff avec une sorte de résignation calme ; appelez-là, mon amour. »

On l’appela. Elle vint, toute rouge, tout étourdie encore du somme qu’elle venait de faire sur le canapé ; mais personne ne l’en blâma, personne, bien au contraire.

« Bonté du ciel ! s’écria la maligne enfant, se tournant vers son cousin quand elle eut baisé son père sur les deux joues, et que dans son espièglerie naturelle elle eut ajouté par-dessus le marché une pichenette sur le bout du nez paternel. Comment, c’est vous, vilain monstre !… Eh bien, j’espère que vous ne venez pas m’ennuyer pour longtemps !

— Eh quoi ! vous êtes donc toujours aussi vive ? dit Jonas. Oh ! que vous êtes méchante !

— Eh bien, allez-vous-en ! répliqua Merry en le poussant. Je ne sais pas ce que je suis capable de faire, s’il faut que je vous voie longtemps. Allez-vous-en, pour l’amour de Dieu ! »

M. Pecksniff intervint dans le débat en invitant M. Jonas à monter ; celui-ci s’empressa de profiter de l’invitation, au lieu d’écouter la jeune fille qui le conjurait de s’en aller. Mais, bien qu’il donnât le bras à la belle Cherry, il ne pouvait s’empêcher de se retourner vers sa sœur et d’échanger avec elle quelques traits piquants, de même nature, tandis que tous quatre ils montaient au parloir. Par une circonstance heureuse, les jeunes filles se trouvant ce soir-là en retard sur leur heure habituelle, le thé put être servi aussitôt.

M. Pinch n’était pas à la maison. Ainsi ils se trouvèrent entre eux tout à l’aise et fort en train de discourir. Jonas, assis entre les deux sœurs, déployait sa galanterie avec ces manières engageantes qui lui étaient particulières. Quand le thé eut été pris et le plateau enlevé :

« Il m’est pénible, dit M. Pecksniff, d’avoir à quitter une petite compagnie si agréable ; mais j’ai à examiner des papiers importants dans mon appartement, et je vous prie de m’excuser si je vous laisse pour une demi-heure. »