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la toilette simple et proprette. Voyez-la avec sa plume à la main ; elle lève vers le plafond ses yeux où se lit le calcul ; près d’elle est un trousseau de clefs dans un petit panier ; elle est en train d’inscrire les dépenses de la maison. Les fers à repasser, les cloches de plats, la bassinoire, la marmite et le chaudron, la servante[1] de cuivre et le poêle noirci à la mine de plomb, la couvent du coin de l’œil avec amour et lui lancent un regard approbateur. Les oignons mêmes qui se dandinent suspendus à la poutre, avec leur couleur vermeille, ont l’air d’autant de petits chérubins qui viennent admirer la précieuse ménagère. M. Pecksniff, par sympathie, ne peut résister à l’influence de ce légume. Il fond en larmes.

Mais cette émotion ne dure qu’un moment ; il la dérobe (très-soigneusement) à l’attention de son ami en employant diligemment, à cet effet, son mouchoir de poche, car il ne voudrait pas laisser voir sa faiblesse.

« Douce chose, murmura-t-il, douce chose pour les sentiments d’un père ! Ma chère fille ! Faut-il lui dire que nous sommes ici, monsieur Jonas ?

— Parbleu ! je ne suppose pas que vous songiez à nous faire passer la nuit dans l’écurie ou la remise.

— Ce n’est pas là en effet l’hospitalité que je voudrais vous offrir, à vous surtout, mon ami, » s’écria M. Pecksniff en lui pressant la main.

Alors il aspira fortement son haleine, et, frappant à la fenêtre, il hurla avec une tendresse, une douceur de stentor :

« Boh !… »

Cherry laissa tomber sa plume et jeta un cri. Mais l’innocence ne craint jamais rien : ou, du moins, cela devrait être. En leur entendant ouvrir la porte, cette vaillante jeune fille cria d’une voix assurée, et avec une présence d’esprit qui même en ce moment critique ne l’avait pas abandonnée :

« Qui est là ?… Que voulez-vous ?… Parlez ! sinon j’appelle mon p’pa. »

M. Pecksniff tendit ses bras. Cherry le reconnut aussitôt et s’élança pour recevoir ses douces caresses.

« C’était bien imprudent de notre part, monsieur Jonas, bien imprudent ! dit Pecksniff en caressant les cheveux de sa fille. Ma chérie, vous voyez que je ne suis pas seul ! »

Elle n’avait rien vu. Jusqu’à présent elle n’avait vu que son

  1. Ustensile à mettre devant le feu