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En achevant ces paroles, il reprit sa part du fardeau et se mit à marcher d’un pas si précipité que M. Pecksniff, emporté à l’autre extrémité du portemanteau, se trouva tiré en avant de la manière la plus désagréable et la plus disgracieuse, au détriment de la première écorce de ses tibias, écorchés sans pitié par le choc répété des courroies et des boucles de fer contre lesquelles ils se cognaient à chaque pas. Cependant, au bout de quelques minutes, M. Jonas ralentit sa course et permit à son compagnon de marcher en ligne à côté de lui et de tenir le portemanteau presque sur un pied d’égalité.

Il était clair que Jonas regrettait son récent accès de colère et se méfiait de l’effet qu’il avait pu produire sur Pecksniff : car, toutes les fois que ce dernier le regardait, il rencontrait ses yeux fixés sur lui ; source nouvelle d’embarras pour l’un et pour l’autre. Toutefois, cet état de choses fut de courte durée, car Jonas se mit presque aussitôt à siffler : là-dessus, M. Pecksniff, prenant exemple sur son ami, commença à fredonner mélodieusement un air.

Au bout de quelque temps qu’avait duré ce manège, Jonas demanda :

« C’est près d’ici, n’est-ce pas ?

— Tout près, mon cher ami, dit Pecksniff.

— Que pensez-vous qu’elles peuvent faire en ce moment ? demanda Jonas.

— Impossible à savoir ! s’écria Pecksniff. Ces petites étourdies ! ces petites coureuses ! peut-être ne sont-elles pas à la maison. J’allais… hé ! hé ! hé !… j’allais vous proposer d’entrer par la porte de derrière et de tomber sur elles comme un coup de tonnerre, monsieur Jonas. »

Quelle était celle de leurs qualités diverses sous laquelle Jonas, M. Pecksniff, le sac de nuit et le portemanteau pouvaient être assimilés à un coup de tonnerre ? ce serait difficile à dire, mais n’importe. M. Jonas ayant donné son assentiment à la proposition, ils se glissèrent furtivement vers une cour de derrière et s’avancèrent à pas de loup jusqu’à la fenêtre de la cuisine, par laquelle une double clarté de feu et de chandelle se reflétait sur l’obscurité de la nuit.

En vérité, M. Pecksniff est béni dans ses enfants, au moins en l’un d’eux. La prudente Cherry, le bâton de vieillesse, l’honneur, le trésor de son père qui l’idolâtre, est assise devant le feu de la cuisine, à une petite table blanche comme la neige, et occupée à faire des comptes. Voyez cette jeune fille à