Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/382

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— De qui ? demanda sèchement Jonas.

— De ma fille aînée, monsieur Jonas, répondit Pecksniff, les larmes aux yeux ; de ma chère Cherry, mon bâton de vieillesse, mon bien, mon trésor, monsieur Jonas. Rude combat pour un père, mais c’est dans l’ordre des choses. Il faudra qu’un jour je me sépare d’elle pour la remettre à un mari. Je sais cela, mon cher ami. Je suis préparé à ce sacrifice.

— Ma foi ! dit Jonas, il y a longtemps, je pense, que vous devez y être préparé.

— Beaucoup de prétendants ont voulu me l’enlever. Tous y ont échoué. « Jamais, me disait-elle, jamais, papa, je ne donnerai ma main si mon cœur n’est pris. » Dans ces derniers temps elle paraissait moins gaie qu’autrefois… J’ignore pourquoi. »

M. Jonas contempla de nouveau la campagne, puis le cocher, puis le bagage posé sur l’impériale, puis enfin M. Pecksniff ; et rencontrant le regard de ce gentleman :

« Je suppose, dit-il, que vous aurez à vous séparer aussi de l’autre, un de ces jours ?

— Probablement, dit le père. Les années dompteront l’humeur sauvage de mon oiseau folâtre, et alors l’oiseau sera mis en cage. Mais Cherry, monsieur Jonas, Cherry…

— Oh ! ah ! interrompit Jonas. Cet oiseau-là, les années l’ont suffisamment apprivoisé. Personne n’en doute. Mais vous n’avez pas répondu à ma question. Naturellement, vous n’êtes obligé à rien, si cela ne vous plaît point. Vous êtes là-dessus le meilleur juge. »

Il y avait dans cette façon de parler une sorte d’avertissement bourru donnant à entendre à M. Pecksniff que son cher ami n’était pas homme à se laisser amuser ou circonvenir, et que Pecksniff n’aurait rien de mieux à faire que de répondre positivement à sa question ou de l’avertir sans détour qu’il ne voulait pas l’éclairer sur le sujet qui l’intéressait. Se rappelant, en face de ce dilemme, la recommandation que le vieil Anthony lui avait faite presque avec son dernier souffle, il se décida à parler ouvertement ; il dit donc à M. Jonas (en appuyant sur cette communication, comme sur une preuve de son grand attachement et de sa confiance), que dans le cas dont il avait parlé, à savoir, si un homme tel que lui venait à lui demander la main de sa fille, il donnerait une dot de quatre mille livres sterling.

« Il faudrait, pour cela, me saigner aux quatre veines, dit ce