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très-élevé, dit M. Pecksniff après quelques moments de silence. Pardonnez-moi, mon cher monsieur Jonas, ajouta-t-il, très-ému, de vous dire que vous m’avez gâté, que vous m’avez fait concevoir un idéal, un type coloré des teintes du prisme, s’il m’est permis de me servir de ces expressions.

— Qu’entendez-vous par ces mots ? grommela Jonas, dont le regard était devenu de plus en plus farouche.

— Vous avez le droit de le demander, mon cher ami. Le cœur n’est pas toujours comme les ateliers de la monnaie royale, avec machine privilégiée pour frapper son métal précieux au coin légal. Parfois il coule son or dans des moules étranges, dont l’empreinte n’est pas d’une valeur courante. Ce n’en est pas moins de l’or de première qualité, de l’or sterling ; il a toujours le mérite d’être de l’or pur et sans alliage.

— Vraiment ? grommela encore Jonas avec un mouvement de tête qui indiquait que la chose n’était pas claire dans son esprit.

— Oui ! s’écria M. Pecksniff, plein d’ardeur pour son sujet, de l’or pur. Pour m’expliquer mieux avec vous, monsieur Jonas, si je pouvais trouver deux gendres comme vous pourrez un jour en être un pour un homme délicat et capable d’apprécier une nature telle que la vôtre, je voudrais, m’oubliant moi-même, donner à mes filles des dots qui atteignissent les plus extrêmes limites de mes facultés. »

Cette déclaration était précise, et elle fut faite avec chaleur. Mais qui pourrait s’étonner qu’un homme tel que M. Pecksniff se montrât plein d’énergie et d’ardeur sur une semblable question, après tout ce qu’il avait vu et entendu dire de M. Jonas ; lorsque l’éloge de ce jeune homme distillait sur les lèvres mêmes des entrepreneurs de pompes funèbres le miel de l’éloquence !

M. Jonas demeura silencieux et contempla pensif le paysage, car ils étaient assis tous deux en arrière, sur l’impériale de la diligence qui traversait la campagne. M. Jonas accompagnait M. Pecksniff jusqu’à son village, où il allait pour changer d’air et de résidence après ses récentes épreuves.

« Eh bien, dit-il enfin avec une pétulance charmante, supposez que vous trouviez un gendre tel que moi ; après ? »

M. Pecksniff le regarda d’abord avec une surprise inexprimable ; puis par degrés s’abandonnant à une vivacité mêlée d’une certaine émotion, il dit :

« Alors je sais bien de qui il serait le mari.