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À ce nouvel exemple de la magnanimité et de la bienveillance de Jonas, un murmure d’approbation s’éleva du sein des personnes du deuil (y compris M. Mould et ses joyeux assistants). Mais Chuffey ne mit pas davantage ses sentiments à l’épreuve. Il ne dit pas un mot de plus ; et, laissé un instant à lui-même, il regagna la voiture et y remonta.

Nous avons dit que M. Jonas avait pâli lorsque la conduite du vieux commis attira l’attention générale : son trouble ne fut toutefois que momentané, et bientôt il eut cessé. Mais ce ne fut pas là la seule métamorphose qu’on put observer en lui ce jour-là. Il n’avait pas échappé au regard observateur de M. Pecksniff qu’aussitôt qu’on eut quitté la maison pour la cérémonie funèbre, Jonas commença à se remettre ; qu’au fur et à mesure que la cérémonie avançait, Jonas reprenait graduellement, petit à petit, son maintien d’autrefois, son air habituel, son port accoutumé, ce cachet agréable qui marquait sa parole et ses façons, enfin qu’à tous égards il redevenait l’aimable personnage qu’il était jadis. Maintenant qu’ils étaient assis dans la voiture pour revenir au logis, et surtout lorsqu’en y arrivant ils trouvèrent que les fenêtres étaient ouvertes, que la lumière et l’air circulaient librement, et que toute trace du dernier événement avait disparu, M. Pecksniff resta tellement convaincu que Jonas était redevenu le Jonas de la semaine précédente et n’était plus le Jonas de l’époque intermédiaire, qu’il se démit volontairement, et sans le moindre effort pour la prolonger, de sa récente autorité, et rentra dans sa position première d’hôte soumis et plein de déférence.

Mme Gamp s’en retourna chez le marchand d’oiseaux, et dans la nuit même on vint heurter à sa porte et l’éveiller pour une naissance de deux jumeaux ; M. Mould dîna gaiement au sein de sa famille et alla passer non moins gaiement la soirée à son club ; l’attelage, après être resté longtemps à la porte d’un bruyant cabaret, regagna son écurie ; les panaches avaient été mis dans les coffres, et douze croque-morts au nez cramoisi étaient montés sur le haut de la voiture, accrochés chacun à ces patères de couleur lugubre, où, durant la cérémonie, se balançaient les plumes flottantes ; les divers ornements de deuil avaient été soigneusement pliés pour être mis à la disposition de la première personne qui viendrait les louer ; les fougueux chevaux étaient parfaitement calmes et paisibles dans leurs stalles ; le docteur buvait joyeusement à un dîner de noces, où il oubliait le milieu de l’histoire qui n’avait pas eu de fin ; et