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chapeau d’une façon incongrue et en s’essuyant les yeux du revers de sa main. Ainsi que M. Mould l’avait déclaré déjà, sa conduite était indécente, indigne de la circonstance, et l’on n’eût pas dû admettre M. Chuffey aux obsèques.

Cependant il y était, le pauvre homme ; et il vint jusqu’au cimetière où il n’agit pas avec moins d’inconvenance, s’appuyant sur Tacker qui lui dit tout net :

« Vous êtes bon tout au plus pour les enterrements à pied ! »

Mais Chuffey (Dieu le protège !) n’entendait rien que les échos lointains d’une voix à jamais silencieuse qui retentissait encore au fond de son cœur.

« Je l’aimais ! s’écria le vieillard, se précipitant sur la tombe quand tout fut achevé. Il était si bon pour moi !… Ô mon bien-aimé maître et ami !

— Allons, venez, monsieur Chuffey, dit le docteur ; cela ne vaut rien ; le sol est argileux, monsieur Chuffey. Il ne faut pas faire ça.

— Si nous n’avions eu qu’une cérémonie vulgaire, et que M. Chuffey eût été un simple porteur, messieurs, dit Mould, jetant vers Pecksniff et Jonas un regard suppliant pour les invoquer et les prier de faire lever Chuffey, il n’aurait pas pu se conduire d’une manière plus indécente.

— Conduisez-vous comme un homme, monsieur Chuffey, dit Pecksniff.

— Conduisez-vous comme un gentleman, monsieur Chuffey, dit Mould.

— Sur l’honneur, mon bon ami, murmura le docteur d’un ton de majestueux reproche en s’approchant du vieillard, ceci est pire que de la faiblesse. C’est mal ! c’est égoïste, c’est odieux, monsieur Chuffey. Vous devriez prendre exemple sur les autres, mon bon monsieur. Vous oubliez que vous n’étiez pas uni par les liens du sang à notre ami défunt, et qu’il avait un très-proche et très-cher parent, monsieur Chuffey.

— Oui, son propre fils !… s’écria le vieillard, qui joignit les mains avec une ardeur étrange. Son propre fils ! son fils unique !

— Il n’a pas la tête bien saine, dit Jonas, qui devint pâle. Ne prenez pas garde à ses paroles. Je ne m’étonnerais pas qu’il ne dît quelque bêtise abominable. Mais ne prenez pas garde à lui. Je ne m’en préoccupe guère. Mon père l’a laissé à ma charge, et cela suffit. Il peut dire et faire à présent tout ce qu’il voudra ; j’aurai soin de lui. »