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tress Harris, que je lui dis, ne parlez pas d’argent pour ma peine : car, si je pouvais ensevelir tous mes chers semblables sans demander un sou, je serais heureuse de le faire, tant je leur porte d’affection. Mais, au bout du compte, tout ce que je dis, mistress Harris, soit aux messieurs, soit aux dames… (ici, elle fixa son œil sur M. Pecksniff), c’est de ne pas me demander si je veux oui ou non prendre quelque chose, mais de laisser la bouteille sur la cheminée, pour que j’y puisse toucher seulement du bout des lèvres quand ça m’est nécessaire. »

Ils arrivèrent à la maison au moment où se terminait ce touchant récit. Dans le couloir ils rencontrèrent M. Mould, l’entrepreneur des pompes funèbres ; c’était un vieux petit gentleman, chauve et vêtu de noir ; il avait à la main un carnet ; une massive chaîne de montre en or sortait de son gousset ; sur son visage, une bizarre affectation de tristesse livrait combat au sourire de la satisfaction : en un mot, il avait l’air d’un homme qui, tout en se léchant les lèvres après avoir tâté de bon vin vieux, essayerait de vous faire croire qu’il vient de prendre là une médecine.

« Eh bien, mistress Gamp, comment ça va-t-il, mistress Gamp ? dit ce gentleman d’une voix aussi posée que l’était son pas.

— Très-bien, je vous remercie, monsieur, dit-elle, faisant un beau salut.

— Vous serez parfaitement ici, mistress Gamp. Il faut que tout soit fait avec soin et avec goût, mistress Gamp, dit l’entrepreneur, secouant la tête d’un air solennel.

— Soyez tranquille, monsieur, répondit-elle en saluant de nouveau. Vous me connaissez de longue date, monsieur, je m’en flatte.

— Je m’en flatte aussi, mistress Gamp ; dit l’entrepreneur et je suis tranquille sur votre compte. »

Mistress Gamp salua pour la troisième fois.

M. Mould ajouta en s’adressant à Pecksniff :

« C’est une des affaires les plus émouvantes que j’ai vues dans tout le cours de l’exercice de ma profession.

— Oh ! oui, monsieur Mould ! s’écria ce gentleman.

— Jamais, monsieur, je n’ai été témoin de tant d’affection, de tant de regret. Point de limites, c’est positif, il ne veut point de limites… (Et ici M. Mould ouvrit ses yeux tout