Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/362

Cette page a été validée par deux contributeurs.

et Jonas était bien décidé à ne pas donner prise aux mauvais propos. Il ne voulait pas qu’on accusât le fils d’Anthony d’avoir lésiné sur les funérailles de son père. Aussi, jusqu’à ce que les obsèques fussent accomplies, Jonas avait-il pris pour devise : « Dépensez et n’épargnez rien ! »

M. Pecksniff s’était rendu chez l’entrepreneur de pompes funèbres ; il se mit en devoir d’aller ensuite trouver un autre fonctionnaire de deuil, un fonctionnaire femelle, une garde-malade, une surveillante, une de ces femmes qui accomplissent pour les parents du mort une tâche tout à fait intime. On la lui avait recommandée ; son nom, tracé sur un bout de papier que M. Pecksniff avait à la main, était Gamp ; elle résidait dans Kingsgate-Street, High Holborn. M. Pecksniff, emporté par son cabriolet de louage, roulait donc sur le pavé de Holborn, en quête de Mme Gamp.

Cette dame logeait dans la maison d’un marchand d’oiseaux, à deux portes de la célèbre taverne du Pâté de mouton, et juste en face de l’original restaurant du Civet de chat, établissement dont le renom était bien et dûment attesté par l’enseigne de la devanture. C’était une petite maison, ce qui n’en valait que mieux : car Mme Gamp étant, au plus haut degré de son art, une garde-malade ou, comme l’indiquait parfaitement son tableau, une « sage-femme, » et logeant au premier étage sur le devant, on pouvait aisément l’avertir la nuit en jetant dans sa croisée des cailloux, une canne ou des débris de pipe : moyens beaucoup plus efficaces que le marteau de la porte de la rue, lequel était fait de façon à éveiller aisément la rue entière et même à faire craindre au dehors que le feu ne fût dans Holborn, sans cependant produire la moindre impression dans l’intérieur du logis auquel s’adressait cet appel.

Il advint dans cette occasion que Mme Gamp avait été sur pied toute la nuit précédente dans l’attente d’une cérémonie, à laquelle l’usage des commères a donné le nom qui exprime en quelques syllabes la malédiction prononcée contre Adam. Il se trouva que Mme Gamp n’avait pas été régulièrement retenue d’avance, mais bien appelée au moment de la crise, vu la grande réputation dont elle jouissait, pour assister de ses conseils une autre dame de sa profession, et enfin que, toutes les choses étant parfaitement terminées, Mme Gamp était revenue chez elle, à la maison du marchand d’oiseaux, et s’était mise au lit. Ainsi, lorsque M. Pecksniff arriva dans son cabriolet, les rideaux de Mme Gamp étaient soigneusement tirés,