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son, j’ai gagné sa confiance, je suis son aide ; il m’a accordé un salaire. Quand ses affaires prospéreront, j’ai la perspective de voir prospérer les miennes. Tout cela, et bien d’autres choses encore, voilà le second point. J’aurais dû, comme préface au premier point, John, vous dire encore ce que personne, du reste, ne peut connaître mieux que moi : à savoir que j’étais né pour des occupations plus humbles, plus modestes, que je ne suis pas propre à cette sorte de travail, que je n’y montre pas d’aptitude, et que je ne sais faire rien qui vaille. »

Il débita tout cela avec tant de chaleur et d’un ton si convaincu, que son ami changea involontairement de manières avec lui. Ils avaient atteint, à l’extrémité de la ruelle, le poteau indiquant la station. John s’assit sur sa malle, invita son ami à y prendre place à côté de lui, et lui posant la main sur l’épaule :

« Tom Pinch, dit-il, vous êtes une des meilleures créatures qu’il y ait en ce monde.

— Pas du tout, répondit Tom. Si seulement vous connaissiez Pecksniff aussi bien que je le connais, c’est de lui, par exemple, que vous pourriez dire cela, et vous ne vous tromperiez pas.

— Je dirai de lui tout ce qu’il vous plaira ; pas un mot de plus contre lui.

— C’est pour m’obliger, je le crains, plutôt que par égard pour lui, dit Pinch en secouant tristement la tête.

— Ce sera pour qui il vous plaira, Tom, pourvu que vous soyez satisfait. Oh ! c’est un fameux homme ! Ce n’est pas lui qui aurait jamais raflé, pour les mettre dans sa poche, toutes les épargnes si péniblement amassées par votre pauvre grand’mère, qui était femme de charge dans une maison, n’est-il pas vrai, Tom ?

— Oui, dit M. Pinch en frottant un de ses gros genoux et en secouant la tête ; femme de charge chez un gentleman.

— Non, ce n’est pas lui qui aurait jamais raflé, pour les mettre dans sa poche, toutes ses économies si péniblement acquises, en l’éblouissant par la perspective de votre bonheur, de votre fortune, quand il savait, mieux que personne, que rien de cela ne pouvait se réaliser ; ce n’est pas lui qui aurait jamais spéculé, à son profit, sur l’orgueil qu’elle ressentait pour vous, elle qui vous avait élevé, ni sur son désir que vous finissiez par faire un gentleman. Non, jamais, Tom !