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tomber chez les gens à l’improviste ? Il est étrange qu’un homme ne puisse pas lire le… le journal dans son propre bureau sans être espionné et effrayé par des individus qui entrent sans prendre la peine de s’annoncer. Pourquoi n’avez-vous pas frappé à la porte ?

— C’est ce que j’ai fait, monsieur Jonas, répondit Pecksniff, mais on ne m’a pas entendu. J’étais curieux, ajouta-t-il avec son air gracieux, tout en posant sa main sur l’épaule du jeune homme, de savoir quelle partie du journal vous intéressait si fort ; mais la vitre était trop sombre et trop sale. »

Jonas jeta un regard rapide sur le vitrage. Bien. Il n’était pas très-propre : Pecksniff avait dit la vérité.

« Était-ce de la poésie ? demanda M. Pecksniff, agitant l’index de sa main droite d’un air d’agréable plaisanterie. Ou bien était-ce de la politique ? ou bien était-ce le tarif des valeurs ? la chose la plus importante, monsieur Jonas ; la plus importante !

— Vous brûlez, mon cher, répondit Jonas, qui s’était remis et mouchait la chandelle ; mais, par le diable ! qu’est-ce que vous revenez chercher à Londres ? Ma foi ! il y a bien aussi de quoi effaroucher un homme, quand il se voit tout à coup inspecté par un individu qu’il croyait être à soixante ou soixante-dix milles.

— Sans doute, dit M. Pecksniff. Vous avez raison, mon cher monsieur Jonas ; car le cœur humain étant constitué comme il l’est…

— Oh ! laissons là le cœur humain, interrompit Jonas avec impatience, et apprenez-moi ce qui vous amène.

— Une petite affaire qui m’est survenue à l’improviste.

— Oh ! si ce n’est que ça, s’écria Jonas, bien ! Mon père est dans la chambre voisine. Holà ! mon père, voici Pecksniff !… Je crois que chaque jour sa caboche devient de plus en plus trouble, murmura Jonas en faisant faire un demi-tour à son vénéré père. N’entendez-vous pas que je vous dis que Pecksniff est ici, idiot ?… »

L’effet combiné des secousses qu’il recevait et des tendres remontrances de son fils ne tarda point à éveiller le vieillard, qui fit à M. Pecksniff un accueil empressé ; ce qu’on pouvait attribuer en partie au plaisir qu’il avait à voir ce gentleman, en partie à la satisfaction ineffable qu’il éprouvait en se souvenant de l’avoir appelé un hypocrite. Comme M. Pecksniff, arrivé depuis une heure seulement à Londres, n’avait pas en-