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niff, qui éleva la voix en s’apercevant que Pinch allait prendre la parole, je prie cette personne de n’émettre aucune observation ; elle m’obligera infiniment si elle ne prononce pas un seul mot, pas un seul en ce moment. Je ne me sens pas en état de supporter en ce moment une nouvelle épreuve. D’ici à très-peu de temps, j’en ai la confiance, j’aurai recouvré la force de m’entretenir avec cette personne, comme s’il n’avait jamais été question de rien. Mais pas maintenant, pas maintenant ! dit M. Pecksniff se tournant de nouveau vers le feu, et indiquant de la main la direction de la porte.

— Bah ! s’écria John Westlock avec tout le dégoût et le mépris que peut exprimer ce monosyllabe. Bonsoir, mesdemoiselles. Venez, Pinch ; cela ne vaut pas la peine d’y penser. J’avais raison et vous aviez tort. Ce n’est rien : une autre fois, que cela vous apprenne. »

En parlant ainsi, il frappa l’épaule de son compagnon accablé, fit demi-tour et entra dans le couloir, où le pauvre M. Pinch le suivit, après être resté quelques secondes dans le parloir avec l’expression de la plus profonde tristesse et de l’abattement le plus absolu. Là, ils prirent à eux deux la malle et sortirent pour aller au-devant de la diligence.

Ce rapide véhicule passait, chaque nuit, au coin d’une ruelle, à peu de distance : ce fut de ce côté qu’ils se dirigèrent. Durant cinq à six minutes ils marchèrent en silence, jusqu’à ce qu’enfin le jeune Westlock fit entendre un bruyant éclat de rire qu’il renouvela par intervalles. Mais son ami n’y répondait pas.

« Voulez-vous que je vous dise, Pinch ? s’écria tout à coup Westlock après un autre silence prolongé ; vous n’avez pas assez de malice. Non, non, vous n’en avez pas assez.

— Dame ! dit Pinch en soupirant, je ne sais pas, moi ; mais je prends cela pour un compliment. Si je n’en ai pas assez, je suppose que c’est tant mieux.

— Tant mieux ! répéta son ami avec aigreur ; tant pis, voulez-vous dire.

— Et cependant, ajouta Pinch, suivant le cours de ses propres pensées, sans prendre garde à la dernière observation de son ami, il faut bien supposer que j’en ai pas mal ; autrement, comment se ferait-il que Pecksniff fût si mécontent de moi ? Je suis fâché de lui avoir fait tant de chagrin… Ne riez pas, je vous prie ; je voudrais pour une mine d’or qu’il n’en fût rien ; et le ciel sait pourtant que je ne ferais pas fi d’une mine d’or, John. Comme il était affligé !