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neur. Ce que M. Norris père avait dit au marquis ***, et ce que mistress Norris mère avait dit à la marquise, et ce que le marquis et la marquise avaient dit tous deux, quand ils avaient affirmé sur leur parole, sur leur honneur, qu’ils souhaitaient que M. Norris père et mistress Norris mère, et les deux demoiselles Norris et M. Norris junior le fils, voulussent bien s’établir à demeure fixe en Angleterre, et les favoriser d’une amitié éternelle ; tout cela prit beaucoup de temps à remémorer.

Martin trouvait étrange et en quelque sorte inconséquent que, durant le cours et même au plus fort de ces récits pompeux, M. Norris père et M. Norris junior fils, qui, disaient-ils, étaient en correspondance suivie avec quatre membres de la paierie anglaise, insistassent sur l’inestimable avantage de n’avoir point de ces distinctions arbitraires dans leur pays éclairé, où il n’existait pas d’autre noblesse que des hommes anoblis par la nature, et où toute la société reposait sur le large niveau de l’amour fraternel et de l’égalité naturelle. En effet, M. Norris père avait entamé une polémique sur ce thème ampoulé, et commençait à devenir passablement ennuyeux, quand M. Bevan détourna à propos le cours de ses pensées en hasardant une question sur la personne qui occupait la maison voisine. À quoi l’orateur interrompu répondit « que cette personne avait des opinions religieuses qu’il ne pouvait approuver, et qu’en conséquence il n’avait pas l’honneur de la connaître. » Mistress Norris mère ajouta, de son côté, une autre raison, la même au fond avec simple variante de mots, à savoir qu’elle pensait que ces gens-là n’étaient pas mal dans leur genre, mais qu’ils n’étaient pas comme il faut.

Un autre trait frappa fortement Martin. M. Bevan étant venu à parler de Mark et du nègre, il parut évident que tous les Norris étaient abolitionnistes. Ce fut pour Martin un grand soulagement que de les trouver dans ces dispositions, et il se sentit si fortement encouragé par l’esprit de la société où il était, qu’il exprima franchement sa sympathie en faveur des malheureux noirs opprimés. Or, une des jeunes personnes (la plus jolie et la plus délicate des deux) s’amusa beaucoup de la chaleur avec laquelle il en parlait ; et, comme il la priait instamment de s’expliquer, elle resta quelque temps sans pouvoir répondre, à force de rire. Dès qu’elle eut repris l’usage de la langue, elle dit que les nègres étaient une race si bouffonne, si énormément grotesque de manières et d’extérieur,