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convenable de refuser d’être présenté quelque part, quand ce gentleman, qui avait le cœur sur la main, voulait bien lui servir d’introducteur ; Martin, disons-nous, pour la première fois de sa vie et à tout hasard, sacrifia de bonne grâce sa volonté et son plaisir aux désirs d’autrui. On voit que le voyage lui avait déjà profité.

M. Bevan frappa à la porte d’une maison petite, mais très-proprette, dont le parloir bien éclairé reflétait ses lumières sur la rue, maintenant obscure. Cette porte fut aussitôt ouverte par un homme d’une physionomie si évidemment irlandaise, qu’il semblait plutôt de son devoir, en droit et en fait, d’être couvert de haillons, que de se montrer tout pimpant avec un habillement complet.

Tout en recommandant ce phénomène à l’attention de Martin (à qui, du reste, la chose avait sauté aux yeux), M. Bevan pénétra dans la chambre d’où la clarté se répandait dans la rue. Il présenta aux personnes qui s’y trouvaient M. Chuzzlewit, comme un gentleman arrivant d’Angleterre, et avec qui il avait eu récemment le plaisir de faire connaissance. Les maîtres de la maison mirent à accueillir l’étranger tout l’empressement, toute la politesse possibles ; en moins de cinq minutes, Martin se trouva assis fort à l’aise, auprès du feu, et dans les meilleurs termes avec la famille entière.

Il y avait là deux jeunes personnes, l’une de dix-huit ans, l’autre de vingt, toutes deux très-délicates, mais très-jolies ; leur mère, qui sembla à Martin plus âgée et plus fanée qu’elle n’eût dû le paraître pour son âge ; et leur grand-mère, une petite vieille éveillée et alerte, qui paraissait avoir bravement pris le dessus des fatigues de sa jeunesse, et s’être remise tout à fait. En outre, il y avait le père des jeunes filles avec leur frère : le premier s’occupait d’affaires de commerce, le second faisait ses études au collège ; tous deux avaient dans les manières une certaine cordialité qui rappelait celle de M. Bevan lui-même ; ils ressemblaient même par les traits à M. Bevan, ce qui n’était nullement étonnant, celui-ci étant leur proche parent, ainsi que Martin ne tarda pas à l’apprendre. Il ne put s’empêcher de commencer l’examen de l’arbre généalogique de la famille par les deux jeunes personnes qui, naturellement, appelaient les premières son attention, non-seulement parce qu’elles étaient fort jolies, comme nous l’avons dit plus haut, mais parce qu’elles portaient des souliers merveilleusement petits et des bas de soie les plus