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ci, la tête appuyée sur sa main, recevait ses compliments d’un air bienveillant, et n’en sifflait que de plus belle. Il venait sans doute de faire là son dîner ; car il avait encore auprès de lui son couteau, une bouteille d’osier et quelques débris de victuailles dans un mouchoir. Il avait employé une partie de ses loisirs à décorer la porte du Rowdy Journal, où ses initiales brillaient en lettres de près de six pouces de long avec la date du mois en plus petits caractères ; le tout entouré d’un feston en guise d’ornement et exécuté d’une main ferme et hardie.

« J’avais peur que vous ne vous fussiez perdu, monsieur ! s’écria Mark, se levant et interrompant son air à l’endroit où (quand on le siffle) les Anglais sont généralement censés déclarer que jamais, jamais, jamais… J’espère qu’il ne vous est rien arrivé de fâcheux, monsieur ?

— Non, Mark. Où est votre amie ?

— La femme que vous disiez folle, monsieur ? dit Tapley. Oh ! elle va bien, monsieur.

— A-t-elle retrouvé son mari ?

— Oui, monsieur. Du moins elle a retrouvé ses restes, dit Mark se reprenant.

— Le mari n’est pas mort, j’espère ?

— Pas le moins du monde, monsieur ; mais il a eu plus de fièvre et de tremblements que n’en peut supporter un être vivant. Lorsqu’elle l’a vu là à l’attendre, j’ai cru qu’elle allait mourir de saisissement.

— Mais puisqu’il était là !

— Ce n’est pas lui, monsieur, qui était là. C’était son ombre, une ombre misérable qui s’est traînée jusque-là en rampant, et qui ressemblait autant au mari quand elle le reconnut, que votre ombre peut vous ressembler quand le soleil l’étire et l’amincit. Mais enfin c’étaient ses restes, pour sûr. Elle embrassa ces pauvres restes avec joie, ni plus ni moins que si ç’avait été son mari tout entier !

— Et a-t-il acheté de la terre ? demanda M. Bevan.

— Oh ! oui, dit Mark en secouant la tête, il a acheté de la terre et il l’a payée, qui plus est. Tous les agréments naturels s’y trouvaient réunis, à ce que lui avaient affirmé les agents ; mais il n’y en avait qu’un en réalité, et il est surabondant : c’est qu’il y a de l’eau à n’en plus finir.

— Je suppose, dit Martin d’un ton bourru, qu’il ne pouvait pas se passer d’eau.

— Certainement non, monsieur. Et pour ce qui est de ça, il