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Dans cette offre faite à cœur ouvert, sans affectation, avec un ton expansif, il n’y avait pas l’ombre de curiosité ou d’indiscrétion. Comme il lui était impossible de ne point sentir sa confiance éveillée par des avances aussi bienveillantes, aussi amicales, Martin exposa sans réserve le dessein qui l’avait amené dans ce pays ; il fit même l’aveu difficile de sa pauvreté. Il n’alla pas jusqu’à la révéler tout entière, ayant plutôt jeté cet aveu d’un ton qui pouvait laisser croire qu’il avait assez d’argent pour vivre six mois au moins, tandis qu’il en avait assez à peine pour quelques semaines ; mais enfin il confessa qu’il était pauvre, et dit qu’il accepterait avec reconnaissance les avis que son ami voudrait bien lui donner.

Tout le monde eût vu sans peine, et Martin surtout, chez qui la pénétration avait été aiguisée par les nécessités de sa position, ne pouvait manquer de voir que le visage de l’étranger s’était singulièrement allongé quand il avait entendu dérouler le plan d’architecture domestique. Bien que le gentleman fît un grand effort sur lui-même pour être aussi encourageant que possible, il ne put s’empêcher que sa tête ne s’agitât par un mouvement involontaire, comme si elle disait pour son propre compte en langage vulgaire : « Ça ne vaut pas le diable ! » Mais le gentleman prit un ton enjoué en disant que si, dans New-York, il n’existait rien de semblable à ce que Martin désirait, du moins il ne perdrait pas un moment pour s’informer s’il n’y avait pas un endroit plus propice pour donner suite à ce projet. Il apprit alors à Martin qu’il s’appelait Bevan, qu’il était médecin, mais qu’il ne pratiquait que peu ou point ; enfin d’autres détails qu’il lui donna, tant sur lui-même que sur sa famille, remplirent le temps jusqu’au moment où ils arrivèrent au Rowdy Journal Office.

Là, M. Tapley leur apparut bien à son aise sur le palier du premier étage. Avant même que les deux gentlemen eussent atteint la maison, le bruit que faisait un individu installé dans cet endroit, et sifflant de toutes ses forces l’air Rule Britannia[1], parvenait à leurs oreilles. En montant jusqu’au lieu d’où partait cette musique, ils trouvèrent M. Tapley couché au milieu d’un rempart de bagages. Selon toute apparence, il exécutait l’hymne national pour le régal d’un nègre à tête grise qui était assis sur l’un des ouvrages avancés (un portemanteau) et contemplait Mark avec admiration, tandis que celui--

  1. Chant national en Angleterre.