Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/312

Cette page a été validée par deux contributeurs.

conclusion qu’il en eût tirée, c’eût été la certitude logique que son genre de commerce était parfaitement d’accord avec le goût dominant, et qu’il représentait, avec une exactitude fidèle, le type national américain.

Ils suivirent, l’espace d’un mille ou deux, une belle rue que le colonel dit s’appeler Broadway, et qui, au dire de M. Jefferson Brick, « enfonçait toutes les rues de l’univers. » Tournant enfin par une des nombreuses rues qui partaient de cette artère principale, ils s’arrêtèrent devant une maison d’un extérieur plus que simple, où il y avait à chaque fenêtre une persienne. Quelques marches conduisaient à une porte d’entrée peinte en vert ; de chaque côté, la grille était décorée d’un ornement blanc qui ressemblait à un ananas pétrifié ; au-dessus du marteau se trouvait une petite plaque oblongue de même métal, portant gravée de nom de Pawkins. Quatre porcs rôdaient par là, regardant en bas du côté des cuisines du sous-sol.

Le colonel heurta à la porte de l’air d’un habitué de la maison. Une servante irlandaise passa sa tête à l’une des fenêtres d’en haut pour voir qui frappait. Tandis qu’elle descendait l’escalier, les pourceaux furent rejoints par deux ou trois de leurs amis qui débouchaient de la rue voisine, et tous, de compagnie, se vautrèrent sans façon dans le ruisseau.

« Le major est-il à la maison ? demanda le colonel en entrant.

— Est-ce le maître, monsieur ? répliqua la servante avec une hésitation qui semblait indiquer qu’il y avait dans l’établissement une provision de majors.

— Le maître !… répéta le colonel Diver, s’arrêtant brusquement et se tournant vers son rédacteur de la guerre.

— Oh ! voilà bien les dégradantes institutions de l’empire britannique, colonel, dit Jefferson Brick. Le maître !…

— Quel mal voyez-vous donc à cela ? demanda Martin.

— Plût à Dieu qu’on n’entendit jamais prononcer ce mot-là dans notre pays ! dit Jefferson Brick ; voilà tout. Il n’y a qu’une domestique dégradée, aussi étrangère que celle-ci aux bienfaits de notre forme de gouvernement, pour oser l’employer. Il n’existe pas de maître chez nous.

— Tout le monde y est donc propriétaire ? » demanda Martin.

M. Jefferson Brick, sans faire de réponse, suivit les pas du propriétaire du Rowdy Journal. Martin en fit autant, se disant