« Ma foi ! dit Martin, je ne sais pas, j’ignorais. Oui. Je pense que vous avez raison. »
Le gentleman lui lança un regard malin en lui disant qu’il aimait sa politique.
« Il est naturel, ajouta-t-il, et en ma qualité de philosophe il ne m’est pas moins agréable d’observer les préjugés de l’esprit humain. »
Puis se tournant tout à fait vers Martin et appuyant son menton sur la pomme de sa canne, il lui dit encore :
« Vous avez, à ce que je vois, apporté ici votre tribut ordinaire de bassesse et de misère, d’ignorance et de crime, pour les jeter dans le sein de la grande République. Très-bien, monsieur ; qu’on nous en apporte de pleines cargaisons de la vieille patrie. Quand le vaisseau est au moment de couler bas, on dit que les rats déménagent. À mon sens, il y a beaucoup de vrai dans cette observation.
– Le vieux vaisseau restera à flot un an ou deux encore pour le moins, » répondit Martin avec un sourire provoqué en partie par les paroles, en partie par la prononciation même du gentleman, car elle était assez étrange ; par exemple, il accentuait avec énergie tous les mots courts et monosyllabiques, et laissait les autres devenir ce qu’ils pouvaient : comme s’il pensait que les mots plus longs étaient bien assez grands pour aller tout seuls, tandis que les petits avaient besoin qu’on ne les lâchât pas d’un moment.
« Le poëte, dit-il, monsieur, appelle l’Espérance la nourrice du jeune Désir. »
Martin répondit qu’en effet il avait entendu dire que la vertu cardinale en question servait parfois à ces fonctions domestiques.
« Dans le cas présent, monsieur, dit le gentleman, vous verrez qu’elle n’élèvera point son enfant.
— On verra avec le temps, » dit Martin.
Le gentleman hocha gravement la tête et demanda :
« Quel est votre nom, monsieur ? »
Martin se nomma.
« Votre âge, monsieur ? »
Martin dit son âge.
« Votre profession, monsieur ? »
Martin le satisfit également sur ce sujet.
« Quels sont vos projets, monsieur ? demanda le gentleman.