Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/298

Cette page a été validée par deux contributeurs.

regardait Mark avec une expression de gravité mêlée d’une certaine surprise.

Mark comprima fortement ses traits et, penchant la tête de côté, pesa la question gravement, comme s’il la trouvait extrêmement difficile à résoudre. Il fut tiré d’embarras par Martin lui-même, qui dit en s’étendant de nouveau sur le dos et reprenant le livre dont il avait interrompu la lecture :

« Mais à quoi bon vous soumettre ce cas, quand il ressort de mes paroles précédentes que vous n’y pouvez absolument rien comprendre ? Arrangez-moi un peu de grog, froid et très-faible, vous me donnerez un biscuit, et vous direz à votre amie, qui est pour nous une plus proche voisine que je ne le désirerais, qu’elle ait la bonté de veiller à ce que ses enfants se tiennent plus tranquilles que la nuit dernière ; je lui en serais bien obligé. »

M. Tapley s’élança pour obéir à ces ordres, l’esprit tout abattu : heureusement, l’activité qu’il mit à les exécuter releva son courage ; car il fit plus d’une fois à demi-voix l’observation que, sous le rapport du mérite qu’on pouvait avoir à se montrer jovial, le Screw avait sur le Dragon des avantages incontestables et bien marqués. Il marmotta aussi que c’était pour lui une grande consolation de penser qu’en débarquant il emporterait avec lui les mêmes chances de difficulté, et qu’il les aurait auprès de lui partout où il irait ; mais il ne s’expliqua point sur le sens de ces idées consolantes.

Cependant, un mouvement général commença à se produire sur le bâtiment : chacun émit sa prédiction sur le jour précis, et même sur l’heure précise de l’arrivée du vaisseau à New-York. On se pressait bien plus sur le pont, on regardait bien plus qu’auparavant par-dessus le bord ; chaque matin, c’était une rage épidémique de faire des paquets qu’il fallait défaire ensuite chaque nuit. Ceux qui avaient des lettres à remettre, ou des amis à voir, ou des plans déterminés d’avance, soit pour aller quelque part, soit pour faire quelque chose, discutaient leurs projets cent fois par jour ; et comme cette catégorie de passagers était très-bornée, et que le nombre de ceux qui n’avaient pas de but du tout était considérable, il se trouvait beaucoup plus d’auditeurs que d’orateurs. Ceux qui durant toute la traversée avait été malades allaient bien, et ceux qui avaient été bien allaient mieux encore. Un gentleman américain, de la première chambre, qui tout le temps était resté enveloppé de fourrure et de toile cirée, se montra tout à coup avec un