Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/295

Cette page a été validée par deux contributeurs.

étrange qu’elle soit ici. C’est tout à fait extraordinaire. Peut-être est-elle un peu folle… Il n’y a pas d’autre moyen d’expliquer la chose. »

Martin était trop accablé par la fatigue du mal de mer pour faire aucune réponse à ces paroles, où même pour y prêter la moindre attention. La femme qui avait fourni le sujet de la discussion revint avec le thé bouillant ; ce qui empêcha M. Tapley de reprendre son thème. Après le déjeuner, Mark fit le lit de Martin, puis il monta sur le pont pour laver la vaisselle, qui consistait en deux gobelets d’étain de la contenance d’une demi-pinte, et un pot à barbe du même métal.

Il convient de dire que Mark Tapley souffrait du mal de mer autant pour le moins que tout homme, femme ou enfant à bord, et qu’il avait une disposition particulière pour aller se heurter au moindre choc et perdre l’équilibre à toute embardée. Mais, résolu, comme il le disait dans son langage habituel, à marcher fort et ferme en face des accidents les plus désagréables, il était la vie et l’âme de la chambre d’arrière, et il ne lui en coûtait pas plus de s’arrêter au beau milieu d’une joyeuse conversation, pour s’éloigner tout malade et revenir ensuite la reprendre du ton le plus vif et le plus enjoué, que si c’eût été la chose la plus naturelle du monde.

Ce n’est pas qu’à mesure que son mal diminuait son entrain et sa bonne humeur augmentassent, car elles eussent eu peine à s’accroître ; mais les services qu’il rendait aux passagers plus souffrants que lui prenaient chaque fois un nouveau développement, et il en rendait de nouveaux à tout moment. Si un rayon de soleil tombait du ciel sombre, Mark descendait à la hâte dans la chambre, d’où il remontait aussitôt avec une femme dans les bras, ou une demi-douzaine d’enfants, ou un homme, ou un lit, ou une casserole, ou un panier, quoi que ce soit enfin d’animé ou d’inanimé, à qui il jugeait que l’air ferait du bien. Si, dans la journée, une heure ou deux d’éclaircie inspiraient le désir à ceux qui ne venaient sur le pont que peu ou point, de se traîner le long du bâtiment ou de s’étendre sur les espars de rechange et d’essayer de manger, alors M. Tapley se trouvait inévitablement au centre du groupe : aux uns il présentait du bœuf salé et du biscuit, aux autres des verres de grog qu’il apprêtait ; ou bien, il coupait la viande des enfants avec son couteau de poche, à leur grande satisfaction ; ou bien, il lisait à voix haute un journal d’un âge vénérable ; ou bien, il chan-